Rupture conventionnelle : le prix de la « flexicurité »
Une fois encore, le gouvernement souhaite réduire les droits à l’assurance chômage. Cette fois, les salariés inscrits à France Travail à la suite d’une rupture conventionnelle sont dans le viseur.
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© Serge d'Ignazio
Dans l’interminable feuilleton de l’élaboration du budget 2026, réduire les droits à l’assurance chômage est de nouveau présenté comme une solution pour trouver quelques milliards. Cette année, les salariés inscrits à France Travail à la suite d’une rupture conventionnelle sont dans le viseur. Créée par l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 dit de « modernisation du marché du travail », la rupture conventionnelle est l’une des mesures nées des débats autour d’une « flexicurité à la française ».
Elle permet à l’employeur de mettre fin à un CDI sans licencier et en diminuant les risques de contentieux juridique (flexibilité), et au salarié de percevoir éventuellement une indemnité et d’être indemnisé en tant que demandeur d’emploi s’il y est éligible (sécurité).
Dès 2010, 200 000 ruptures conventionnelles par an étaient signées et leur nombre n’a cessé de croître (hors période covid) pour atteindre 515 000 ruptures individuelles en 2024 (1). Face à ce « succès », qui interroge l’évolution des relations d’emploi, seul son coût pour la protection sociale est présenté comme problématique. Aujourd’hui, environ un quart des dépenses d’allocations de l’Unédic sont consacrées à indemniser des allocataires inscrits à la suite d’une rupture conventionnelle.
Nous ne traitons pas ici de la rupture conventionnelle collective, qui a été créée par ordonnance en 2017.
Les déclarations ministérielles se multiplient pour dénoncer les « abus » : les chômeurs concernés se voient reprocher de ne pas retrouver assez vite un emploi. Ces discours ont pour objectif de légitimer une baisse de leurs droits à indemnisation. Les propositions de réforme actuellement sur la table ont en commun d’exclure tout changement réglementaire majeur, mais visent à modifier les comportements individuels des salariés par le levier « incitatif » de la réduction de l’indemnisation.
Les salariés en contrats courts assument donc davantage les conséquences de la flexibilité dont les employeurs tirent, eux, toujours profit.
Actuellement, une partie du coût des ruptures conventionnelles est socialisée via les allocations versées aux salariés concernés et inscrits à France Travail. Réduire ces droits reviendrait à démutualiser ce coût (totalement ou partiellement) alors que l’employeur continuerait à tirer profit de la flexibilité permise par ce mode de rupture. Le salarié en supporterait alors plus qu’actuellement les conséquences financières. Un transfert similaire s’est opéré avec les réformes d’assurance chômage en 2019-2021.
La réduction des droits à indemnisation des salariés à l’emploi discontinu était présentée comme une incitation pour qu’ils acceptent des CDI plutôt que des CDD. Une mesure de modulation des cotisations patronales de faible portée devait inciter les employeurs à limiter leur recours aux CDD. Sans surprise, les contrats courts n’ont pas disparu, ni même significativement diminué. Les salariés en contrats courts assument donc davantage les conséquences de la flexibilité dont les employeurs tirent, eux, toujours profit.
Ce énième projet de réforme de l’assurance chômage appelle donc à mettre enfin la flexibilité au centre du débat. Quelles en sont les formes jugées collectivement acceptables ? Comment les encadrer ? Quels droits pour les travailleurs et travailleuses qui en supportent les conséquences ? Qui paie ces droits ? Délibérer sur ces questions paraît bien plus urgent que poursuivre sans fin les accusations contre les « chômeurs qui profitent ».
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