Éducation à la sexualité : l’État condamné pour 24 ans de manquements
En France, l’éducation à la vie affective et sexuelle est inscrite dans la loi depuis 2001, organisée en trois séances par année scolaire. Dans la pratique, c’est loin d’être le cas. Face à ce manquement, le Planning familial, Sidaction et SOS Homophobie ont saisi la justice il y a deux ans et ont obtenu gain de cause le 2 décembre. Entretien avec Sarah Durocher, du Planning.

Ce 2 décembre, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État à verser un euro symbolique pour avoir « tardé à organiser l’éducation à la sexualité » dans les établissements. La carence est reconnue jusqu’en février 2025, date à laquelle un arrêté et une circulaire ont été publiés par le gouvernement d’Élisabeth Borne, établissant le premier programme d’application de cette loi. Le verdict prend acte de ce programme et « estime que l’État a pris les mesures propres à assurer la mise en œuvre effective » de la loi de 2001.
Dans ce contexte, les associations à l’origine du recours saluent la reconnaissance officielle de cette carence, tout en pointant les limites du dispositif désormais annoncé. Pour Sarah Durocher, présidente du Planning familial, cette décision marque une étape, mais laisse encore de nombreuses zones d’ombre.
Outre la loi, il n’existait aucun encadrement de l’éducation à la vie affective et sexuelle avant le 4 février 2025 ? Ce programme est le signe d’une évolution ?
Sarah Durocher : Jusqu’en février 2025, il y avait juste une loi et pas de programme associé. C’est la nouveauté de la rentrée, une opportunité de faire en sorte que la loi de 2001 soit mise en place. Mais aujourd’hui, on a quand même de très grosses inquiétudes : les associations voient leurs moyens baisser pour intervenir. En tout cas, il n’y a pas de budget associé pour les associations pour cette formation.
Nous nous demandons comment le programme va être mis en place, nous n’avons pas de chiffres et c’est pour ça qu’il faut interpeller l’Éducation nationale. Nous avons les chiffres de nos interventions, mais nous ne les faisons pas toutes. Aujourd’hui, c’est l’Éducation nationale qui doit rendre compte de la mise en place du programme.
Est-ce aux associations de dispenser ces séances ?
S.D. : C’est à l’Éducation nationale de mettre en place ces cours. Avant le programme de février 2025, il y avait des vrais projets entre les associations et l’Éducation nationale, mis en place depuis des décennies. Aujourd’hui, il y a un questionnement sur la place des associations du fait des baisses de financement. Est-ce que tous les personnels de l’Éducation nationale sont formés à l’éducation à la sexualité ? Je n’en suis pas sûre. C’est pour ça que nous disons que le travail fait par l’Éducation nationale et l’expertise des associations sont très complémentaires.
Il y a une volonté d’éducation à la sexualité, malgré ce que les mouvements conservateurs font croire.
Avant la procédure judiciaire ouverte en 2023, des alertes émanaient déjà d’acteurs de la société civile sur la carence d’application de la loi de 2001 ?
S. D. : Oui, nous alertions depuis très longtemps. Au Planning familial, nous intervenons auprès de 250 000 jeunes dans 3 600 établissements, et on en refusait autant. Il y a une volonté d’éducation à la sexualité malgré ce que les mouvements conservateurs font croire. Je pense que quand vous êtes parents, c’est important de savoir que vos enfants sont outillés en matière de respect, de consentement, de réduction de risques. Ça l’est aussi de savoir que des enseignants sont formés au repérage de violences sexuelles. Quand on sait que trois jeunes par classe en sont victimes, on peut être un peu désarmé.
Je pense qu’il est très important que les jeunes soient outillés pour faire leurs propres choix. Que ce soit sur la question des sexualités, du droit à l’avortement, de la contraception… Je pense que c’est un vecteur d’émancipation, très important pour notre société. Il est prouvé que lorsqu’on apprend le respect, à être ensemble – parce que c’est ça aussi l’éducation à la sexualité –, cela donne des classes, des collectifs et des enseignants qui vont mieux.
Nous aurions pu, si la loi avait été mise en place, éviter des féminicides, des contaminations sexuelles, des discriminations.
Qu’est-ce qui vous a poussé à poursuivre l’État en justice en 2023 ?
S. D. : Il y a eu une alerte de l’inspection générale sur le fait que seulement 15 % des jeunes avaient des séances d’éducation à la sexualité. Un chiffre qui était déjà sorti en 2006 : il n’y a eu donc aucune évolution en quinze ans. Nous nous sommes dit qu’il fallait faire quelque chose. Nous ne pouvons pas dénoncer une hausse de la contamination au VIH, des LGBTphobies, des violences sexistes et sexuelles et ne pas réagir, alors que cette loi de 2001 est une vraie politique publique de réduction des risques. Nous aurions pu, si la loi avait été mise en place, éviter des féminicides, des contaminations sexuelles, des discriminations. Nous pensons qu’il est important que cette loi soit vraiment mise en place pour les jeunes d’aujourd’hui et les prochaines générations. C’est notre combat.
Un sondage rendu public par Sidaction ce 1er décembre révèle la montée des discours masculinistes en France, notamment chez les jeunes de 16 à 24 ans. Est-ce corrélé, selon vous, avec la carence d’éducation à la vie affective et sexuelle ?
S. D. : Oui, et Sidaction le dit dans sa campagne Alpha Safe. Nous constatons sur le terrain que lorsqu’on parle de pornographie, de harcèlement, de l’information que les jeunes trouvent sur les réseaux, il n’y a pas d’espace pour démêler le vrai du faux ou partager des craintes. La base du masculinisme, c’est ça. L’éducation à la sexualité, ce n’est pas seulement informer, c’est aussi mettre en dynamique des collectifs.
Quand vous avez des jeunes garçons qui pensent que l’essentiel est d’avoir un sexe de 28 cm et de faire crier sa copine, je peux vous assurer que cela crée des angoisses. Ces questions arrivent en quelques heures lors de nos séances d’éducation à la sexualité, parce que l’on crée l’espace pour le faire et que c’est rassurant d’avoir des réponses ou d’identifier des associations vers lesquelles aller. C’est aussi un objectif : que les jeunes sachent qu’il existe des associations qui peuvent donner des réponses sur les questions des violences, de la sexualité, de l’anatomie ou de leurs droits.
Que retenez-vous de la décision du tribunal administratif de Paris ?
S. D. : C’est une belle victoire. Heureusement que les associations sont là : pour la démocratie, il est important de dire que nous sommes en état de vigilance et lanceuses d’alerte sur ce sujet. Deuxième chose : même si on nous donne raison, nous sommes très inquiets sur l’effectivité du programme. Nous aurions aimé que le tribunal décide d’un point sur le respect de la loi de 2001 dans un an ou deux. Suite à cette décision, nous serons vigilants et actifs pour faire en sorte que la loi soit appliquée. Ce sera à l’État de prouver l’effectivité du programme établi depuis 2025. Nous, nous continuerons à travailler avec les associations et les parents d’élèves via le collectif du Livre blanc.
C’est une force de proposition, de plaidoyer, de demande de rendez-vous pour faire en sorte que la loi soit appliquée. C’est à l’État de les prendre ou non en compte. Nous savons que la sortie d’un programme ne suffira pas à ce que l’éducation à la sexualité soit effective, comme il n’aura pas suffi d’une loi, nous l’avons bien vu. Nous demandons une vraie politique publique avec des moyens, une coordination, une cartographie et un travail de collaboration entre les associations et les professionnels de l’Éducation nationale, qui sont aussi très motivés pour mettre en place cette loi.
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