COP21 : plongée dans dix années de renouveau militant

Il y a dix ans, la COP21 a permis de redonner du souffle au mouvement climat français. Cette séquence a posé les jalons d’un activisme qui commence tout juste à faire de la justice climatique la priorité et à donner la voix aux premiers concernés.

Vanina Delmas  • 15 décembre 2025 abonné·es
COP21 : plongée dans dix années de renouveau militant
"Grève mondiale pour le climat", le 24 mai 2019, à Paris.
© Maxime Sirvins

La COP21 est souvent symbolisée par le petit marteau en forme de feuille verte de Laurent Fabius scellant l’accord de Paris pour le climat. Or, ce qui s’est passé en dehors des halls de négociation au Bourget était tout aussi important, voire plus. Les activistes écologistes préparaient cette échéance depuis 2014. Mais la petite dynamique qui reprenait doucement a été assommée par la déclaration de l’état d’urgence après les attentats de novembre 2015. La traditionnelle Marche pour le climat ouvrant la séquence des COP a été interdite, et des militant·es pour le climat ont été assigné·es à résidence.

Une grande partie des citoyen•nes engagé·es se sont tout de même mobilisé·es partout en France, notamment à Paris, où une chaîne humaine de plus de trois kilomètres a rassemblé près de 10 000 personnes – selon les organisateurs – le 29 novembre 2015. Puis, le 12 décembre, au moins 15 000 personnes se sont retrouvées dans deux rassemblements : un sur le Champs-de-mars pour « déclarer l’urgence climatique », un autre entre l’Arc de Triomphe et la porte Maillot pour faire valoir les « lignes rouges » des citoyens sur le climat et rendre un hommage aux victimes du réchauffement climatique.

Un mouvement climat qui revit

Outre le contexte politique français sécuritaire, les défis étaient immenses pour la société civile après le traumatisme du sommet de Copenhague en 2009. « Il fallait se relever de cette gueule de bois », glisse Malika Peyraut, qui était alors chargée de campagne climat au sein des Amis de la Terre France. En effet, la COP15 n’avait accouché que d’un document non contraignant, sans engagement chiffré de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement planétaire à 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle. L’objectif de la COP21 était donc ambitieux.

C’était une opportunité politique, et médiatique, qui a permis à la question climat et aux mobilisations autour d’émerger réellement en France.

L. Marty

« C’était une opportunité politique, et médiatique, qui a permis à la question climat et aux mobilisations autour d’émerger réellement en France. La coalition Climat 21 regroupait 130 organisations et des syndicats ont pris position sur cette question pour la première fois. Les marches pour le climat de 2018-2019 qui ont été retentissantes en découlent, ainsi que des collectifs comme Extinction Rebellion ou Youth for Climate », analyse Laurence Marty, anthropologue et militante écologiste, qui a participé à de nombreuses rencontres et actions en 2014-2015.

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Dans son ouvrage Apprendre et lutter au bord du monde. Récits de mouvements pour la justice climatique, issu de sa thèse, elle nourrit ses réflexions de ce qu’elle a vécu en 2014-2015, découvrant elle-même la réalité des inégalités environnementales, mais aussi de nombreux récits concrets de cette époque charnière, que ce soit dans un lieu de vie collective et agricole en Bretagne, lors des visites du collectif Toxic Tour Détox 93 en Seine-Saint-Denis ou parmi les Jeunes pour la justice environnementale.

Malgré les insuffisances de l’accord de Paris – pourtant vanté par les politiques comme un immense succès – la dynamique militante ne s’effondre pas. Quelques mois après le coup de marteau de Laurent Fabius, trois jours d’actions permettent de bloquer le sommet du pétrole à Pau. « C’était le sursaut d’espoir qu’il nous fallait, dans une perspective non-violente, avec des actions imaginatives mais efficaces ! », se souvient Malika Peyraut.

J’ai compris que les victimes des inégalités sociales, et du changement climatique étaient les mêmes.

É. Nace

« La COP21 m’a politisée, et mon activisme a véritablement commencé là, à ce sommet du pétrole. J’y découvre la force du collectif mais aussi les affrontements avec la police, confie Élodie Nace qui travaillait déjà dans des ONG sur les questions sociales, et s’impliquera par la suite dans Alternatiba, à Paris et au niveau national. En 2015-2016, j’ai vraiment pris conscience de ce qu’était la justice climatique, grâce aux écrits de Naomi Klein et aux rencontres faites lors de la COP21. J’ai compris que les victimes des inégalités sociales, et du changement climatique étaient les mêmes, et que les responsables étaient les mêmes ! »

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La justice climatique peu présente

Pourtant, cette notion de justice climatique reste très timide en France, même dans les milieux militants. « À l’époque, le mouvement climat était très organisé autour de grosses organisations comme Attac, puis des organisations sur le climat, ainsi que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Elles étaient donc majoritairement blanches, mais elles essayaient de penser le climat différemment que d’autres bulles écologistes déjà établies qui vivaient en autonomie. Elles ont permis de penser le climat avec une proposition politique mais le manque d’articulation avec les questions raciales était flagrant », souligne Fania Noël, sociologue afroféministe, qui faisait partie du collectif Mwasi et travaillait pour l’ONG 350.org afin d’accueillir les militants venus du monde entier.

L’autrice avait cosigné un appel « Nous réclamons la justice climatique » dans lequel était dénoncé un  « discours sur le climat monopolisé par des groupes où les personnes racisées et/ou des quartiers populaires sont quasi absentes et invisibilisées ». Dans le cadre de la Zone d’Action pour le Climat (ZAC), des tables rondes avaient tenté de faire émerger ces sujets, notamment une intitulée « Penser la justice climatique : du colonialisme à la science fiction ».

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Les rencontres avec des activistes venus du monde entier vont délier les logiciels de pensée dans l’Hexagone. L’expérience de la Marche pour le climat à New York en 2014 avait déjà bousculé les lignes car elle était organisée en différents blocs pour mettre en scène le cadrage de la justice climatique. Celles et ceux en première ligne de la crise climatique défilaient donc en tête de cortège, notamment les victimes des ouragans Sandy (2012) et Katrina (2005). Un an plus tard, la délégation nord-américaine It Takes Roots arrivait avec tout son bagage intellectuel et son vécu pour rencontrer des activistes mais aussi des habitant·es français·es des quartiers populaires. Des graines pour faire éclore l’intersectionnalité des luttes en France.

Filiations militantes

Pour Élodie Nace, toutes ces actions ont permis une acculturation progressive sur les enjeux climatiques de base, qui a ensuite permis de tisser des liens plus directs avec d’autres enjeux et d’autres personnes.

« La question des premiers concernés s’est développée dans le mouvement climat à travers des actions concrètes, au moment où les Marches pour le climat étaient un succès. D’abord grâce au mouvement des gilets jaunes, car nos marches se retrouvaient en même temps dans la rue, donc cela nous a obligés à nous poser des questions. Puis, la marche commune Génération Climat et Génération Adama était pour moi un moment très fort et le départ d’un rapprochement de luttes jusqu’à ouvrir la maison Verdragon à Bagnolet », décrypte celle qui était porte-parole d’Alternatiba.

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Sans oublier, l’apparition d’autres acteurs sur l’écologie populaire comme Banlieues climat, l’association Ghett’up, qui a produit en octobre 2024 le rapport « (In)justice climatique », mais aussi ceux travaillant sur l’écologie décoloniale comme l’Observatoire Terre-Monde, Génération Lumière ou Vietnam Dioxine. On peut également voir une filiation entre les Toxic Tour Détox 93 de 2015 proposant des visites guidées des lieux toxiques – comme les alentours de l’aéroport du Bourget, des data centers d’Aubervilliers ou des abords de l’autoroute A1 –, et ceux organisés avant les JOP 2024 pour dénoncer leurs conséquences sociales et environnementales.

Nous voulons que les milieux populaires se sentent parties prenantes du projet de société construit par le mouvement climatique.

M. Peyraut

Les Soulèvements de la Terre sont aussi un prolongement des réflexions et collectifs issus de la COP21 car ils tentent de déplacer le mouvement vers des alliances et des problématiques plus complexes. « La question climatique peut parfois sembler abstraite. En ramenant le climat dans le sol, on intègre que c’est une question d’accès à la terre, donc lié aux enjeux paysans mais aussi coloniaux, explique l’anthropologue Laurence Marty. Leurs mobilisations plus récentes dans la coalition Guerre à la guerre pour désarmer le militarisme lors des salons de l’armement, ou dans la campagne Désarmons Bolloré permettent de créer une résistance au fascisme, à l’extrême droite et ainsi monter des alliances avec d’autres organisations notamment antiracistes. »

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Un mouvement dans lequel on retrouve une génération d’activistes passée par les actions de la COP21, l’expérience de NDDL ou des marches pour le climat. De son côté, Malika Peyraut est coprésidente de l’association Alda qui défend les droits des familles des quartiers populaires au Pays basque, en partant de leurs besoins et de leurs propositions.

La priorité depuis quelques années est le logement, mais ils mènent une vraie bataille culturelle plus globale : « Nous voulons que les milieux populaires se sentent parties prenantes du projet de société construit par le mouvement climatique. L’autre enjeu, pour nous, est de contrer le système néolibéral qui a poussé à l’extrême l’individualisme et le fort sentiment de défaitisme qui fait le lit des idées du Rassemblement national en réhabilitant la nécessité de la force collective des quartiers populaires. » De nouvelles forces citoyennes vitales dans le contexte actuel où la vague réactionnaire gagne du terrain.

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