Le mythe de la femme métisse

Il est déroutant pour les métis·ses d’être érigé·es en symbole de l’antiracisme et valorisé·es pour des caractéristiques physiques tout en faisant l’expérience quotidienne des inégalités raciales.

Juliette Smadja  • 1 décembre 2025
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Le mythe de la femme métisse
Dessin de Jeanne Duval, comédienne franco-haïtienne, par Charles Baudelaire, 2 février 1865.
© Domaine public

Tout le monde connaît le stéréotype de la blonde, souvent platine, incarné notamment par Marylin Monroe ou Brigitte Bardot, et qui a façonné un certain idéal de beauté tout en véhiculant des clichés sexistes autour des femmes aux cheveux blonds. Aujourd’hui, j’aimerais analyser les stéréotypes apposés aux femmes métisses – dont je fais partie – et plus précisément la perception qu’a la France des personnes métisses. Et puisque celle-ci s’inscrit à l’intersection de plusieurs dynamiques raciales, sexistes, sociales et fantasmagoriques, je parlerai même ici de « mythe » de la femme métisse.

La femme métisse dans la culture occidentale est synonyme de sensualité et de tentation.

Le métissage est fortement corrélé à notre histoire coloniale et notamment à celle des colonies de peuplement françaises. Dès le XVe siècle, des familles de colons s’installaient sur les territoires colonisés pour les peupler et asseoir ainsi leur domination. Aujourd’hui, le métissage s’intensifie toujours avec la mondialisation, les phénomènes de migration et les technologies qui nous rapprochent les uns des autres. Ce métissage, souvent réprouvé par le passé, est maintenant synonyme de richesse et d’ouverture au monde. Cependant pour les personnes métisses et particulièrement pour les femmes, cette diversité peut être difficile à vivre.

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Il est important de rappeler que le métissage n’est pas une couleur de peau. C’est un mélange d’origines ethniques. Ainsi une personne métissée héritera d’une diversité culturelle, ethnique mais pas forcément raciale. Il peut donc y avoir des personnes métisses qui seront noires, asiatiques, arabes ou blanches. Pourtant, le biais qui revient le plus souvent lorsqu’on parle d’une « métisse », c’est d’imaginer une femme afropéenne comme moi issue d’un parent noir et d’un parent blanc, avec des cheveux bouclés.

D’ailleurs, quand on tape « femme métisse » sur Google image, c’est ce type qui apparaît presque exclusivement à l’écran, ou quand sur les annonces de casting que je reçois il est écrit « ouverts aux femmes asiatiques ou métisses », vous pouvez être sur·e qu’on envisage une femme afro-descendante.

Imaginaire exotique

La femme métisse dans la culture occidentale est synonyme de sensualité et de tentation. Que ce soit au XIXe siècle dans les poèmes de Baudelaire, dépeignant son amante Jeanne Duval comme « la langoureuse Asie et la brûlante Afrique », au XXe, où Julien Clerc invitait à « mater sa métisse, nue derrière ses cannisses » dans la chanson « Mélissa », ou encore aujourd’hui, les femmes métisses afropéennes semblent véhiculer malgré elles un imaginaire exotique qui émerveille et émoustille.

Cet exotisme fourre-tout, parfois tropical et toujours sexualisant a permis l’hypersexualisation des femmes métisses, souvent décrites comme des objets de désir, lascives et peu vêtues, venant d’ailleurs. Ainsi il est déjà arrivé que certain·es ami·es croyant me faire plaisir m’appellent « beauté des îles » alors que la seule île dont je suis originaire, c’est l’Île-de-France.

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Aujourd’hui, les femmes métisses sont prisées pour leur beauté. Elles gagnent les concours Miss France, sont très représentées dans la publicité et sur les réseaux sociaux, et je ne compte plus les fois où j’ai entendu quelqu’un s’exclamer « j’aimerais avoir un bébé métis, il serait trop beau ».

Cependant cet engouement cache de nombreux problèmes. Dire que les femmes métisses sont belles est très flatteur mais c’est surtout les réduire à un concept esthétique. Rappelons aussi que les femmes noires, bien qu’également fétichisées, ont peu de succès dans la société occidentale. Elles sont jugées moins conformes aux standards de beautés et sont par exemple les moins likées sur les applis de rencontre. Ainsi, faire de la métisse (afropéenne) une figure de beauté impliquerait qu’avoir des gènes blancs serait forcément mélioratif.

Penser les métis comme un outil de réconciliation (…) de différentes catégories racialisées, c’est occulter totalement les rapports de pouvoir et de domination.

Dans son livre Derrière le mythe métis, la sociologue Solène Brun nous alerte sur l’utilisation du métissage comme « groupe intermédiaire qui ferait le lien entre les personnes colons et colonisées ». Elle rappelle que le racisme n’est pas que la haine de l’autre mais surtout un outil de domination. Ainsi, penser les métis comme un outil de réconciliation, par l’amour, de différentes catégories racialisées, c’est occulter totalement les rapports de pouvoir et de domination, et supposer qu’on n’aurait pas besoin d’agir contre les inégalités raciales.

Derrière le mythe métis Solène Brun

Ballotté·es d’un groupe à l’autre, sans cesse défini·es par des prismes identitaires et raciaux qui ne leur correspondent pas, les métis ont, dans cette France qui se targue d’effacer les races mais refuse de s’interroger sur les inégalités raciales, un statut très particulier. « Notre identité aux yeux des autres change en fonction du contexte dans lequel on se trouve », explique la sociologue Sabrina Onana. En effet une personne métisse sera perçue différemment selon son milieu social, sa façon de se vêtir, de se coiffer, de parler.

Déconstruire les mythes

Par exemple, lorsque je relève mes cheveux en chignon et que j’enfile un long manteau, je suis perçue comme plutôt blanche, mais si je mets un jogging et des tresses, dans l’imaginaire collectif je deviens automatiquement une jeune de banlieue. La sociologue Solène Brun révèle même que certains parents issus d’une union mixte n’avaient pas la même perception raciale de leur enfant. De plus, les représentations du métissage dans l’espace public restent très capitalistes. Les métis·ses sont, par exemple, représenté·es dans la publicité pour faire vendre mais invisibilisé·es dans le cinéma où il s’agit d’incarner des personnages et raconter des histoires.

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Ainsi, beaucoup avouent se sentir essentialisé·es, assigné·es à des groupes identitaires tout en ne sachant pas vraiment où se situer. Il est en effet déroutant d’être érigé·es en symbole de l’antiracisme et valorisé·es pour des caractéristiques physiques tout en faisant l’expérience quotidienne des inégalités raciales. Peut-être que pour vivre pleinement le métissage, il faudrait commencer par déconstruire les mythes érigés autour de celui-ci.

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