« J’ai honte de ce que j’ai fait » : devant la justice antiterroriste, les premiers procès des Françaises de Daech rapatriées
Ces Françaises ont vécu presque dix ans en Syrie. Elles sont restées dans les rangs de l’État Islamique jusqu’à la chute de l’organisation terroriste et ont ensuite été détenues pendant plusieurs années dans des camps. La France les a finalement rapatriées avec leurs enfants. Aujourd’hui, ces mères de famille comparaissent devant la cour spéciale d’assises de Paris.

Dans le box des accusés, Lucie C. se tord les doigts et semble vouloir disparaître. Depuis jeudi 11 décembre, la Française originaire de Vesoul est jugée pour association de malfaiteurs terroriste en vue de commettre des attentats, et pour soustraction à ses obligations légales compromettant la santé, la sécurité de ses enfants. Des faits passibles de trente ans de réclusion criminelle.
Le 7 septembre 2014, après plusieurs mois de basculement dans une idéologie radicale, la mère de famille et son mari Omer Y. quittent la Haute-Saône pour rejoindre l’État islamique en Syrie. Ils amènent avec eux leurs deux enfants, dont une fillette âgée d’à peine treize mois. Le frère de Lucie C., sa femme et d’autres jeunes Vésuliens font partie du voyage. Onze années plus tard devant la cour d’assises spéciale, Lucie C, 38 ans, s’excuse souvent de ne pas trouver les mots pour répondre aux questions des magistrats, mais elle l’assure : « Aujourd’hui, j’assume ce que j’ai fait, je ne dis plus que c’est la faute de mon frère, de mon époux, non c’est moi ! »
Une fois arrivée à Raqqa, devenue capitale de l’organisation terroriste, Lucie C. s’installe dans une belle maison spoliée par Daech à des Syriens. Elle envoie fièrement des photos à son père. Elle essaie de recruter d’autres femmes. « À ce moment-là, la vie que vous aviez là-bas vous convenait ? » lance le président de la cour d’assises spéciale. « Oui », répond l’accusée. Sur place, elle accouche d’une fille. Et puis les frappes aériennes de la coalition internationale s’intensifient.
En 2017, Raqqa est assiégée au sol par les Forces démocratiques syriennes, majoritairement kurdes. « J’ai compris alors que je risquais de mourir avant je n’en avais pas conscience » souffle Lucie C. en baissant la tête. Toute sa famille doit fuir. Une errance qui prend fin en février 2019 à Baghouz, le dernier repli de l’État islamique près de la frontière irakienne. C’est là, après plusieurs semaines de bombardements intensifs et sans nourriture, qu’elle se rend finalement avec Omer Y., immédiatement incarcéré dans une prison du nord-est syrien.
« La différence entre idéologie et religion »
Après plus de trois ans passés sous des tentes dans deux camps, la mère de famille est rapatriée en France en juillet 2022. “En prison, j’ai enfin pu prendre du temps pour moi”, reconnaît Lucie C. ,“j’ai un vu un médiateur du fait religieux qui m’a fait comprendre la différence entre idéologie et religion.” Aujourd’hui, l’accusée dit ne plus croire en Dieu. Au cours de l’interrogatoire de personnalité, le juge lui demande : « Vous avez eu des relations sentimentales en détention ? » Elle : « Oui, avec une ex-détenue mais c’est fini. Il y en a une autre avec qui l’histoire est encore en cours mais le jour où je sors de prison, je veux vivre seule.”
En détention, Lucie C. peut voir ses enfants une fois par mois. Aujourd’hui, son fils aîné à 16 ans, sa fille douze et la petite dernière huit ans sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. “Parlez-vous avec eux de ce qu’il s’est passé ? “ l’interroge le président du tribunal. « Non. Ils ne posent aucune question et vous savez, on n’a pas beaucoup de temps au parloir. » Les rapports des services sociaux, des médecins indiquent que la fratrie va bien. À son retour en France il y a trois ans, le garçon a beaucoup parlé des armes, des bombes, de la faim et de la mort.
Ses deux petites-cousines ont été tuées par une frappe de la coalition internationale. « Ce que cet adolescent a raconté est inédit » souligne une première enquêtrice de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Une autre, chargée d’interroger les enfants, craque et pleure pendant sa déposition. Surpris, le juge l’interroge. La policière se laisse alors aller à une courte et rare confidence : « Des émotions remontent en expliquant à nouveau ici ce qu’ils ont vécu. »
Des vies cabossées
Avant de rejoindre l’État islamique, de très nombreuses Françaises ont connu « des parcours de vie cabossée » comme est venu le rappeler, jeudi 11 décembre, une enquêtrice de la DGSI. Elle énumère froidement, presque mécaniquement : « Des violences familiales, placement par les services sociaux, viol, inceste. »
Depuis le box des accusés, Lucie C. raconte un père, chef d’entreprise, violent qui l’humilie sans cesse. Un homme absent très souvent, qui rentre tard et vient dormir avec elle quand il est ivre. Une mère sous l’emprise de son époux, victime de violences conjugales qui ne protège pas sa fille. Lorsqu’elle rencontre en discothèque Omar Y., elle a seulement 16 ans. « Je crois que je ne l’ai jamais vraiment aimé mais il m’apportait du réconfort » assure-t-elle, la gorge nouée.
Viols conjugaux
Au fil de l’audience, la main sur sa poitrine comme pour s’aider à respirer, Lucie C. parle des relations sexuelles qu’il va lui imposer en France.
« Je ne voulais pas toujours mais j’étais obligée.
– Est-ce qu’il y avait de la violence ?
– Non, Monsieur le juge, mais j’étais forcée surtout pendant mes grossesses. Il disait qu’il adorait mes seins à ce moment-là. J’ai essayé de lui parler. Je lui ai même proposé de lui trouver des prostituées mais il recommençait toujours. »
Je ne me sentais plus légitime de rien, j’étais vide.
Comme si elle essayait d’atténuer la souffrance de ce qu’elle a vécu, l’accusée peine à mettre des mots sur ces violences sexuelles. “Des viols conjugaux” lâche quelques minutes plus tard son avocate, Marie Dosé. Lucie C. a également du mal à évoquer les actes de torture qu’elle a subis. Quelque temps avant leur départ en Syrie, dans un appartement de Vesoul, son frère Benjamin C. et son mari lui inflige quatre-vingt-dix coups de bâton pour la punir de s’être, selon eux, trop rapprochée d’un autre homme. Ils se sont renseignés sur internet et répètent que s’il y avait eu pénétration, il l’aurait tuée. « Je ne me sentais plus légitime de rien, j’étais vide. »
Cette semaine, une autre Française rapatriée de Syrie avec ses deux enfants doit comparaître devant la même cour d’assises spéciale. Carole S. a rejoint Daech en 2014. Elle venait d’avoir vingt ans. Elle avait seulement 14 ans lorsque des hommes de son quartier l’ont violée puis séquestrée dans les Yvelines. “Quand j’ai passé la frontière syrienne, je me suis dit “personne ne me connaît, je vais pouvoir tout recommencer“. Je me sentais là où je devais être » a tenté d’expliquer aux magistrats Lucie C. Le verdict est attendu lundi 15 décembre.
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