Le « sales connes » qui cache la forêt
L’insulte surmédiatisée de Brigitte Macron envers des militantes féministes doit nous indigner… Sans nous faire perdre de vue la stratégie d’inversion de la culpabilité mise en place par Ary Abittan.

« Sales connes. » La phrase prononcée par Brigitte Macron à l’encontre des militantes féministes (1) – et au passage, de toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles – est aussi problématique que polémique. Et la « première dame » le savait. Deux mots qui ont fait l’objet de nombreuses analyses médiatiques et militantes. Ce qui a été moins décortiqué en revanche, c’est l’inversion de la culpabilité qu’a mis en place l’humoriste dans les médias depuis quelques mois.
Venues interrompre un spectacle d’Ary Abittan auquel elle était venue assister, qui a fait l’objet d’une plainte pour viol, conclue par un non-lieu.
« Je ne veux pas que cette histoire me définisse. On a tous vécu des épreuves, on a tous été bousculés par la vie (…) La justice peut être longue, elle peut être douloureuse. » Cette phrase aurait pu être prononcée par une femme traumatisée. Par une victime de viol qui a attend encore des nouvelles de l’enquête, par exemple. En France, les délais d’attente entre les dépôts de plainte et les procès sont de plusieurs années, et seul 1 % des plaintes pour viol débouche sur une condamnation. En réalité, c’est le discours qu’a tenu Ary Abittan pour son grand retour sur le plateau de « C à vous », en février dernier.
Le 31 octobre, dans l’émission de Marc-Olivier Fogiel sur RTL, il atteint le summum de la confession avec un « j’ai pensé disparaître… ». Pourtant, en plus de sa tournée, Ary Abittan a déjà été réintégré à l’équipe des « Grosses têtes » de Laurent Ruquier, et fait son retour sur TF1 dans l’émission hebdomadaire d’Arthur. Arthur qui, par ailleurs, présentait l’émission au cours de laquelle Ary Abittan a agressé sexuellement Laury Thilleman en direct, en 2011, et dont les extraits ont été exhumées cette semaine. Même équipe, même pouvoir médiatique. Si l’humoriste ne disparaît pas, les images non plus.
Tapis rouge
Le 6 novembre, sur le plateau BFMTV, face à Alain Marschall et Olivier Truchot, qui déroulent le tapis rouge à son discours victimaire, l’humoriste lâche : « Je n’ai aucune colère et je pardonne. » Ary Abittan peut donc se payer le luxe de ne pas être en colère. Les féministes, elles, n’ont pas ce privilège.
Ary Abittan confie qu’il “a peur“. Peur de quoi ? Peur d’une justice qui classe sans suite 94 % des plaintes pour viol ?
Énième provocation : Ary Abittan avait prévu de se produire à la Bourse du travail de Lyon, le 25 novembre dernier… Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Une représentation finalement reportée après la mobilisation de militantes féministes.
Enfin, le 7 décembre, quelques secondes avant le « sales connes » lancé par Brigitte Macron, Ary Abittan lui confie qu’il « a peur ». Peur de quoi ? Peur d’une justice qui classe sans suite 94 % des plaintes pour viol ? Peur de quatre militantes pacifistes dans une salle de 1 600 spectateurs acquis à sa cause ? L’immonde punchline de la « première dame » ne doit ni nous faire oublier le bilan catastrophique de son époux en matière de lutte contre les violences de genre, ni nous faire détourner les yeux de la stratégie mise en place par les agresseurs pour redorer leur image. Comptons sur les sales connes pour nous le rappeler.
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