Plainte pour VSS : un parcours d’obstacles pour les femmes discriminées
Les femmes migrantes, travailleuses du sexe ou transgenres victimes de violences sexuelles sont les cibles d’une double discrimination : celle de leur genre et celle de leur statut. C’est ce que condamne Amnesty International dans un nouveau rapport dépeignant une situation très préoccupante.
En France, les femmes migrantes, transgenres et travailleuses du sexe sont confrontées à de trop nombreuses difficultés lorsqu’elles tentent de porter plainte pour violences sexuelles. C’est le constat accablant dressé par Amnesty International dans son rapport « Rentrez chez vous, ça va passer… ».
Des chiffres alarmants
En 2021, au moins 217 000 femmes ont été victimes de viol, tentative de viol ou agression sexuelle en France. Toutefois, seulement 6 % d’entre elles ont porté plainte, et 0,6 % des affaires enregistrées ont abouti à une condamnation, d’après l’ONG. Une situation qui devient encore plus alarmante lorsqu’il s’agit des femmes migrantes, des travailleuses du sexe ou des femmes transgenres, selon les différentes associations contactées par Amnesty. Ces femmes subissent, en plus des violences sexuelles, des « discriminations intersectionnelles » liées à leur statut social, leur origine ou leur identité de genre.
Une étude de septembre 2023, publiée dans la revue scientifique The Lancet, révèle par exemple un risque de viol 18 fois supérieur chez les femmes demandeuses d’asile. « Selon l’enquête, une femme sur deux n’avait pas cherché à obtenir de l’aide à la suite des violences dont elles avaient été victimes et seulement une sur dix avait cherché à obtenir une aide médicale ou auprès de la police », précise le rapport.
L’un des principaux obstacles relevés dans le rapport d’Amnesty est le refus de dépôt de plainte. Pour l’ONG, « ces freins et ces obstacles peuvent s’avérer plus puissants et toucher de manière disproportionnée les femmes victimes de formes multiples et intersectionnelles de discrimination, et notamment de discrimination raciale. »
Les migrantes sans-papiers, une double peine
Six situations de femmes migrantes sans papiers interpellées alors qu’elles avaient contacté la police pour des cas de violences.
La Cimade, une association de défense des droits des étrangers, a transmis à Amnesty International « des informations inquiétantes concernant six situations de femmes migrantes sans papiers qui ont été interpellées alors qu’elles avaient contacté la police pour des cas de violences entre juillet 2022 et février 2023. » D’après le rapport, toutes les femmes ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) lorsqu’elles ont contacté la police et trois d’entre elles ont été expulsées.
Plus récemment, en avril 2024, l’association a pris en charge une femme ayant subi des violences conjugales toute une nuit. Après s’être rendue au commissariat, elle aurait été arrêtée et placée en rétention administrative en raison de son statut irrégulier. À l’heure où Amnesty publie son rapport, cette femme se « trouvait toujours en centre de rétention ». Ces situations ont un « effet dissuasif immense » sur ces femmes, qui hésitent à se rendre dans les commissariats par peur d’être arrêtées.
Les travailleuses du sexe, entre marginalisation et violences
Les travailleuses du sexe subissent également de plein fouet les conséquences de la marginalisation, selon le rapport. En raison de leur activité, elles sont plus exposées aux violences sexuelles et physiques. La commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a déclaré en février 2024 : « Les travailleuses et travailleurs du sexe sont confrontés à un haut niveau de violence et d’abus sur l’ensemble du continent. »
Non Madame, vous ne vous êtes pas fait violer, c’est un client.
Cinq organisations contactées par l’ONG « ont toutes mentionné les difficultés et entraves auxquelles sont confrontées les travailleuses du sexe lorsqu’elles souhaitent porter plainte pour violences sexuelles. » La coordinatrice de la Fédération Parapluie Rouge a rapporté le propos d’un policier à une personne accompagnée par elle : « Non Madame, vous ne vous êtes pas fait violer, c’est un client. »
De son côté, le service juridique de l’association Le Strass, créé en 2009 en France par des travailleur-ses du sexe, a expliqué à Amnesty : « On est encore dans une société qui considère qu’être violée, ça fait partie du métier de travailleuse du sexe. »
Les femmes transgenres, en première ligne des crimes de haine
Les femmes transgenres se trouvent également en première ligne des violences sexuelles et des crimes de haine. Lorsqu’elles tentent de porter plainte, les femmes transgenres se heurtent à de nombreux obstacles, selon le rapport. Huit associations rencontrées ont expliqué à Amnesty International que les femmes transgenres « peuvent être mégenrées, c’est-à-dire qu’on leur attribue, volontairement ou non, un genre dans lequel elles ne se reconnaissent pas ».
Les stéréotypes transphobes jouent un rôle important dans ces mauvais traitements, ce qui peut entraîner des refus de dépôt de plainte ou une minimisation des violences subies. Cité dans le rapport, la directrice de l’association Acceptess-T analyse que « notre expérience de terrain prouve que le manque de formation, les stéréotypes, etc. ouvrent les portes aux difficultés au dépôt de plainte. »
Plusieurs recommandations
Pour répondre à ces problématiques, Amnesty International formule 18 recommandations.
L’organisation appelle à décriminaliser le travail du sexe et à redéfinir le viol dans le code pénal, en se basant sur l’absence de consentement. Elle invite aussi à une « réforme en profondeur » du système de dépôt de plainte et à une « meilleure formation des forces de l’ordre » sur les violences sexuelles et les discriminations intersectionnelles.
Amnesty International appelle les autorités françaises à garantir un accès égal à la justice pour toutes les femmes, sans discrimination, et à cesser la criminalisation des travailleuses du sexe. L’organisation demande également que les femmes migrantes puissent porter plainte sans craindre l’expulsion et de garantir la présence d’interprètes.
Amnesty International souligne aussi l’urgence de « décriminaliser » cette activité pour permettre aux travailleuses du sexe d’accéder à des services de santé et de protection contre les violences.