Etudiants étrangers, le texte de Toulouse-II

Thierry Brun  • 13 décembre 2006
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En complément de la tribune « Des critères injustes » parue dans Politis n°930 (14-20 décembre), voici le texte des personnels de l’université Toulouse-II mobilisés et la liste des premiers signataires :

Immigration choisie ou système discriminatoire

Les personnels de l’université de Toulouse II Le Mirail (1) ont écrit cette tribune sur la situation des étudiants étrangers en France, à la suite de l’arrestation et de l’expulsion d’un étudiant malien.

La fin de l’année scolaire 2006 a été marquée par la mobilisation autour de jeunes lycéens étrangers menacés d’expulsion. Elle avait montré que la gestion de ces sans-papiers n’était pas si « juste » puisque malgré leur intégration voire leur enracinement dans la société et l’école française ceux-ci étaient priés de repartir dans leur pays d’origine.
Les conditions d’accueil et de séjour des étudiants étrangers sont moins connues. Pourtant, elles relèvent là encore de critères parfaitement incohérents et arbitraires. Les discours des autorités publiques sur les vertus du co-développement avec les pays pauvres laisseraient penser que l’accueil et le séjour d’étudiants étrangers, notamment africains, seraient facilités, pour laisser se former un nombre important de jeunes afin qu’ils fassent ensuite bénéficier leur pays d’origine de leurs compétences. Or les politiques d’immigration vis-à-vis des étudiants étrangers des pays du sud mettent en place une sélection accrue, ainsi qu’une restriction de leurs droits durant leur séjour.
Ces politiques s’articulent autour de deux critères sélectifs totalement injustes.
Le premier impose aux étudiants extracommunautaires de prouver qu’ils possèdent au moins 5200 euros pour l’année sur un compte. Cependant, l’étudiant n’a pas le droit de travailler, sauf autorisation administrative temporaire et pour un maximum de 20h par semaine. Ajoutons à cela leur non accès au système de bourses français. Les conséquences de cet encadrement drastique sont simples : un séjour assuré pour les élites et le parcours du combattant pour les autres. Travailler mais pas assez pour survivre ou travailler de façon clandestine…Ceci nuit évidemment à la réussite scolaire de ces étudiants.
Le second critère est justement celui de la « réalité des études ». Pour avoir le droit de rester il faut valider un premier diplôme en trois ans maximum. La licence, premier diplôme universitaire, s’obtient au bout de trois ans, ce qui ne laisse pas le droit au redoublement. On pourrait penser que c’est l’Université qui réalise ce contrôle (« réalité des études ») puisque l’évaluation de la maîtrise des compétences est son métier. En réalité, c’est la préfecture qui la sanctionne. Dès lors, le système ne tente plus d’optimiser le parcours de formation de ces étudiants et d’évaluer leur progrès en fonction de leurs conditions d’études, mais impose un régime bureaucratique simple : le redoublement impliquerait que l’étudiant n’est pas en France pour réaliser une formation. Le principe est bête et méchant : redoublement vaut expulsion. Ce système fonctionne comme une machine à rappeler aux étudiants étrangers, principalement africains, qu’ils ne sont pas les bienvenus : peu importe la justesse et la justice de ces décisions.
Le cas de Daim Sidibé est exemplaire. Cet étudiant malien est sous le coup d’un arrêté de reconduite à la frontière et est placé au centre de rétention de Roissy. S’il n’a pas encore été expulsé, il le doit à une mobilisation d’étudiants et d’enseignants qui ont empêché le décollage de l’avion qui devait le ramener à Bamako, le mercredi 29 novembre (2).
Pourquoi en est-il là ? En mars 2006, Daim s’est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour « étudiant », la préfecture avançant ces fameuses raisons de « non réalité des études ». Pourtant, Daim, réinscrit encore cette année à l’université, est syndicaliste (SUD-étudiant), il a siégé au Conseil des études et de la vie universitaire de l’Université de Toulouse Mirail pendant deux ans. Ainsi il s’est occupé des problèmes pédagogiques et sociaux des étudiants français et étrangers de sa fac. Tant et si bien que le Conseil d’Administration a voté à l’unanimité une motion demandant à la préfecture de le régulariser. De plus, chose rare, 30 enseignants en sociologie ont signé une pétition attestant de son sérieux et de sa volonté de réussir sa formation.
Il s’est donné les moyens d’assumer ses études et d’être autonome financièrement :
Daim travaille de nuit pour subvenir à ses besoins, comme 50% des étudiants en France.
D’autre part, malgré des problèmes de santé, Daim continue d’assister aux cours et se présente aux examens. Tenant compte de ses difficultés, l’Université lui a même accordé un régime long (avec la possibilité de valider chaque année en deux ans).
Ce système législatif et ses pratiques sont parfaitement discriminatoires et injustes. Il concerne, au delà du cas de Daim, beaucoup d’étudiants, de travailleurs, d’enfants scolarisés, et de familles entières.
La non-expulsion et la régularisation de Daim Sidibé permettraient de donner un nouveau souffle à la mobilisation contre les politiques actuelles sur l’immigration.

(1) Contacts : mirail@sud-etudiant.org, rusf31@laposte.net

(2) Daim Sidibé a finalement été expulsé le 7 décembre, malgré la mobilisation d’une vingtaine de militants associatifs et syndicalistes. Près de 200 personnes avaient manifesté le 20 novembre à Toulouse pour soutenir cet étudiant en sociologie qui avait été arrêté à la mi-novembre au cours d’un contrôle de routine.

Personnels signataires de l’Université Toulouse II Le Mirail :

MAZAURIC Catherine, Maître de Conférences, Directrice du DEFLE
MEMBRADO Monique, Chercheur sociologue, CIRUS-CIEU, CNRS et Equipe Simone SAGESSE
DEVERIN Yveline, Maître de Conférence, géographie
BES Marie-Pierre, Enseignant-Chercheur, CIRUS
AUZONNE Colette, Bibliothèque Histoire et Arts
PONS Xavier, Professeur à l’Université
VALDEYRON Nicolas, Maître de Conférences en Préhistoire
METSO Milka, Doctorante en sociologie, Equipe Simone-SAGESSE /CERTOP-CNRS
FARCY Marie-Claude, Chargée de communication Université Toulouse-Le Mirail
PELTIER Anne, Maître de Conférences
FOURTANIER MJ, Professeur d’université à l’IUFM Midi-Pyrénées
PARISSE Lydie, PRAG (DEFLE)
PEYROU Valérie, Bibliothécaire
BEJARANO Leonardo, Doctorante Sociologie
JAILLET Marie-Christine, Directeur de Recherche du CNRS
PLENAT Marc, Directeur de Recherche., CNRS.
RENDU Christine, Chargée de Recherche CNRS
DURAND Frédéric, Maître de Conférences
CAVAILLE Fabienne, Maître de Conférences, Département de Géographie
VALAT Colette, Maître de Conférences, UFR de Lettres, philosophie et musique
RIEU Annie, Chargée de recherches sociologie CNRS, CERTOP et Equipe Simone Sagesse
BERGON Michèle, Enseignante au DEFLE
METAILIE Jean-Paul, Directeur de Recherche, Directeur de GEODE, CNRS
FOSSAT JF, Professeur émérite UTMII ERSS
BUSSUTIL FUENTES Catherine, Chargée de cours D.E.F.L.E
MEMBRADO Monique, Chercheuse CIRUS-CIEU, CNRS et Equipe Simone SAGESSE
DESBORDES Françoise, Ingénieur CNRS, UTM
GROSSETTI Michel, Directeur de Recherche au CNRS, CIRUS-CERS
SIINO C., Maître de Conférences
TEULIERES Laure, docteur en histoire, CNRS
GOUT Françoise, Bibliothécaire universitaire, Bibliothèque Centrale
AZAM Geneviève, Enseignante chercheur, économie
ALIOUA Mehdi, doctorant en sociologie, CIRUS-CERS
ALBERT-LLORCA Marlène, Professeur d’anthropologie
AMADIEU Franck, doctorant en psychologie (ATER)
BART Daniel, allocataire-moniteur en sciences de l’éducation
RATNAUDPierre, Maître de Conférence
THUILLIER Guy Département de Géographie
TISSNAOUI ALI, Assistant- ingénieur, Doctorant et Chargé de cours, UTM.
DATTAS Danièle, Assistant-ingénieur CNRS
LEGROS Claude, Maître de Conférence
SAURET Marie-Jean
BERTRAND M., Professeur
Etienne Ithurria professeur émérite
RUIZ ROBERT, Maître de Conférence
ROMERA Michaël, secrétaire au département Archives et médiathèque

Temps de lecture : 7 minutes
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