Sondages et élections

Michel Soudais  • 11 janvier 2007
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Les sondages dicteront-ils les élections ?

A quelques mois de la présidentielle et des législatives, la question fait débat. Elle interroge notre démocratie. Pour en présenter les termes, l’Humanité y consacrait trois pages, samedi dernier. On pouvait y lire les points de vue de Pierre Giacometti, directeur général d’IPSOS, Stéphane Rozès, directeur de CSA et enseignant à Sciences-Po, et Patrick Lehingue, professeur de sciences politiques à Amiens. Mais aussi celui d’Alain Duhamel, journaliste politique multicarte, et le mien que je livre à vos commentaires.

« Les sondages participent d’une dépolitisation générale »

Les sondages dicteront-ils les élections ?

Michel Soudais. Ils l’ont déjà fait dans la mesure où ils ont déjà préjugé du choix que les électeurs, selon eux, auront. Avant même les militants socialistes, les instituts de sondage ont prédésigné le candidat du PS et sont parvenus à l’imposer, ce qui ne s’était jamais vu. Depuis bientôt dix mois ils ont ainsi installé le duel Sarkozy-Royal. On peut néanmoins douter de leur valeur prédictive et du fait que le second tour soit conforme à ce qu’ils annoncent : ils se sont trompés en 1995, en 1997, en 2002. Malgré cela, les sondages se multiplient. Une fois l’élection passée, ils préparent déjà la suivante contribuant ainsi fortement à délimiter l’offre politique. Ce faisant, loin de contribuer à la démocratie, ils transforment la politique en marché, un marché dont les seuls produits « sérieux » seraient ceux qu’ils nous proposent.

La leçon de 2002 n’a donc pas été tirée ?

Michel Soudais. Hélas. Désormais, le couple journalistes-sondeurs fonctionne plus que – jamais en circuit fermé. Les journaux font leur une sur ceux que les sondages leur désignent, ce qui ne contribue pas peu à accroître la notoriété de ces personnalités, favorisant en retour des sondages flatteurs et donc de nouvelles couvertures. On façonne artificiellement l’opinion en faisant fi d’en prendre la température. Résultat, le jour de l’élection, on a des surprises. Le problème, c’est que les partis politiques, eux aussi, s’alimentent des sondages. Ils façonnent leurs programmes à partir de ces derniers, censés indiquer les préoccupations des Français. Or, celles qui remontent du terrain ne correspondent pas forcément à ce que nous en disent les sondages, en témoigne l’enquête du collectif ACLEFEU. Malheureusement, la plupart des partis, non seulement s’inspirent des sondages mais, de surcroît, s’en servent pour tester leurs propositions et élaborer ce qui ne sera qu’un produit marketing.

Cela va-t-il aller crescendo ?

Michel Soudais. Je le crains. D’ici un mois, nous aurons sûrement droit à un sondage par jour. Ce qui ne peut susciter qu’un ras-le-bol des électeurs, tentés alors par un vote de réaction, et des sondés, incités à répondre n’importe quoi. C’est d’ailleurs déjà le cas. Au point que des journaux réussissent le tour de force de faire leur une sur un sondage qu’ils ont commandé tout en évoquant, dans le même temps, le ras-le-bol qu’ils suscitent. Qu’on le veuille ou non, ces études ont une influence. Mais elles n’éclairent en rien l’élection. Car, pendant qu’on commente la course de petits chevaux à laquelle on la réduit, on ne dit rien des programmes, ni de comment les candidats vont répondre aux préoccupations réelles des citoyens. C’est un jeu dangereux qui participe d’une dépolitisation générale et réserve – pour ne pas dire suscite – de mauvaises surprises.

Comment les maniez-vous ?

Michel Soudais. Je les regarde peu, même si je dois en tenir compte. Par exemple, il n’est pas indifférent de constater que trois présidents de région ont annoncé leur ralliement à Ségolène Royal, fin avril, le jour où le Figaro publiait un sondage annonçant que celle-ci battrait Sarkozy. Je reste toutefois sceptique sur ce qu’ils nous disent de l’adhésion des catégories populaires à certains candidats. J’attends de voir ce qu’il en sera dans les urnes et plus particulièrement dans des régions et des villes bien spécifiques. En dernière instance, un sondage ne remplacera jamais l’enquête, le reportage et la confrontation des points de vue comme des programmes.

Entretien réalisé par Sébastien Homer

Temps de lecture : 4 minutes
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