Wu Wei

Sébastien Fontenelle  • 24 avril 2010
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Pendant que tu réfléchis – encore – au moyen de boucler ta fin de mois?

Le Nouvel observateur , mieux ouvert que tu n’es aux nouvelles tendances, consacre, en sus de sa couverture, un long dossier aux «pouvoirs de la méditation» .

Le philosophe André Comte-Sponville, connu pour sa hauteur de vues, témoigne, pour l’édification des masses (et pour la postérité), que la méditation l’a «aidé à vivre de l’intérieur» , et à mieux «habiter, le plus lucidement possible, l’éternel devenir» .

(J’aime, quand la pensée monte vers des sommets où jamais elle ne s’était aventurée.)

Valérie, «femme d’affaires» , a sauté le pas, elle aussi.

Elle «tournait autour du truc» – la méditation l’attirait comme l’étron la mouche -, mais elle avait «une appréhension pour les stages beatniks» .

(Méditer, oui, mais pas question non plus d’aller faire du macramé au trou du cul de l’Ardèche avec des putains de hippies.)

Bon, finalement, Valérie a pris «trois heures» pour «observer son souffle et regarder ses pensées passer» – de l’intérieur, il va de soi -, et elle en est ressortie changée: «Il faut absolument trouver quelque chose pour contrecarrer ces technologies qui nous font tout faire plus rapidement» , jure-t-elle, fermement décidée à ne plus se laisser tyranniser par « son Blackberry» .

Lucie, «responsable de relations institutionnelles» , est d’un avis assez voisin: «Il faut trouver le bouton on-off pour ne plus être dans une agitation perpétuelle» .

Assure-t-elle.

Violaine, «créatrice dans la pub» , synthétise: méditer permet d’être «plus puissant dans le quotidien» , et en même temps – c’est important – « moins obsédée par le boulot, le fric…»

Denis Olivennes, patron de L’Obs , en est illuminé: «Méditer» , confirme-t-il dans son (grotesque) éditorial, ce n’est «pas courir après je ne sais quelle satisfaction matérielle, mais tout simplement se sentir à sa place dans le cosmos, en harmonie avec l’ordre du monde» .

Pendant que, perclus(e) d’agitation, tu cherches dans le fond de tes poches de quoi payer ta nouille aux caisses de chez Harddiscounter?

L’Express , de son côté, relève, dans sa rubrique «tendançologie» ^2, que, tout comme la méditation, «l’art taoïste possède aussi une vertu apaisante, pas inutile en 2010» .

Car en effet: «Quel dirigeant en ces temps incertains ne serait pas inspiré par la “quête de la longévité” et ce principe du non-agir ( wu wei ) qui, loin d’être inaction, est action réfléchie et adaptée?»

Dans la vraie vie, naturellement: le dirigeant des temps incertains ne succombe qu’assez rarement au wu wei , quand vient le moment de lourder quelques prolétaires – qui dès lors se laissent dominer, honte aux faibles d’esprit, par l’obsession du boulot et du fric.

Mais qu’importent les détails: la promotion de la méditation (et du tao) est un nouveau cadeau de la presse (qui ment) au capitalisme – genre, bouge pas, on va te filer un petit supplément d’âme, on sait que t’es là pour faire du pognon, mais on va montrer que tu t’engraisses «de manière harmonieuse avec son environnement et avec soi» [^3].

Noter ceci, dans ton calepin: avant de se raser le crâne et de prêcher le détachement de je-ne-sais-quelle-satisfaction-matérielle, Denis Olivennes a pécho 3,2 millions d’euros d’indemnités, en quittant Canal +.

Oseille, wu wei : rime (de) riche.

[^3]: Tu fais zazen , et tu observes – lucidement – les chômeux qui se laissent gagner par le stress: détendez-vous, tristes connards, lisez André Comte-Sponville.)

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