Fillon, candidat parfait pour aggraver la crise de l’Éducation

Espacés de trois semaines, deux documentaires diffusés sur France 2 annoncent la généralisation de la crise dans l’école publique si le candidat François Fillon venait à l’emporter à la présidentielle. Prof à la gomme, diffusé par Envoyé spécial, montre le déficit criant de professeurs dans les établissements du secondaire alors qu’Un pas après l’autre (Infrarouge) dresse un portrait flatteur d’un établissement privé à Montfermeil qui prospère sur la crise que traverse l’école publique.

Jean-Riad Kechaou  • 25 novembre 2016
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Fillon, candidat parfait pour aggraver la crise de l’Éducation
Photo : CHARLY TRIBALLEAU / AFP

Ce reportage « Prof à la gomme », je l’attendais de pied ferme. Un journaliste d’Envoyé spécial qui passe des entretiens dans deux rectorats pour devenir prof de français puis de mathématiques. CV bidonnés, entretiens calamiteux, le candidat au poste de contractuel est malgré tout retenu dans les deux cas. Normal, c’est la plupart du temps comme ça. Je me souviens encore de mon ami Mehdi, fraîchement arrivé de Poitiers en région parisienne. CV déposé au pôle emploi le mardi, entretien le mercredi et cours face à ses classes dès le jeudi sans qu’il ne sache à quoi ressemblait un cours d’histoire de niveau collège. Au final, il s’en est plus que bien tiré et est même devenu un remarquable enseignant titulaire de son poste. Mais pour un cas comme celui-ci, je pourrais raconter une bonne dizaine d’expériences malheureuses comme celles du documentaire qui, soulignons-le, montre aussi que n’est pas prof qui veut.

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Dans le documentaire justement, la seconde expérience du journaliste en tant que professeur de mathématiques constitue le clou du spectacle. Avouant son incompétence au bout de deux jours à la principale du collège, celle-ci lui répond honnêtement après avoir tenté une « revalorisation narcissique » de son enseignant qu’elle préfère quelqu’un d’incompétent qu’une chaise vide. Voilà pour le résumé.

Lors de l’entretien face à Élise Lucet, la ministre de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem s’en est bien sortie en se targuant d’avoir créé les 60 000 postes promis par François Hollande en 2012. Elle attaquait ensuite évidemment à juste titre la saignée lancée par Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012 avec quelques 80 000 postes supprimés. La masterisation (l’obligation pour un enseignant d’avoir un bac + 5 contre un bac + 3 avant lui) associée à la disparition de l’année de formation a fini de détourner de l’enseignement un paquet d’étudiants. Sous sa présidence, le nombre de professeurs a donc baissé de manière significative alors même que la conjoncture démographique était florissante avec un taux de fécondité en hausse depuis 1999. Résultat, il a fallu recruter des professeurs à la pelle avec des statuts précaires. Le tout sans formation au préalable. Avec des rectorats débordés, les chefs d’établissement ont recruté via le pôle emploi ou même sur Le Bon coin des professeurs diplômés d’une licence et pas forcément dans la matière d’enseignement. L’académie de Versailles est même allé jusqu’à rechercher des professeurs d’espagnol en Uruguay.

Najat Vallaud-Belkacem expliquait ensuite à la journaliste qu’il faudra plusieurs années pour inverser la tendance. Ce n’est pas faux. La ministre a juste oublié de dire que ces créations de postes sous le quinquennat de François Hollande ne le sont pas réellement…Elle estime en effet que le remplacement d’un départ en retraite est une création de poste. Elle oublie aussi de signaler qu’une bonne part des nouveaux postes créés sont affectés à des professeurs stagiaires qui n’enseignent pas à plein temps contrairement à ceux qu’ils remplacent. Elle prend également en compte cette année 2150 postes d’assistants d’éducation jamais comptabilisés jusqu’ici. Enfin, une partie de ces emplois étant destinés à la formation remise en place par Vincent Peillon, les 45 000 emplois d’enseignants prévus sur le quinquennat se transforment en seulement 33 600 postes supplémentaires à implanter sur le terrain.

Ces « créations » de postes d’enseignants couvrent donc à peine l’évolution démographique de notre population. On a compté 260 000 élèves supplémentaires entre 2007 et 2016 et les départs en retraite sont massifs avec le fameux papy boom entamé depuis dix ans. Les besoins en professeurs remplaçants et les besoins structurels ne sont ainsi pas entièrement couverts. Il faut ajouter qu’un nombre important des postes créés n’ont pas été implantés dans les académies du fait de la crise du recrutement particulièrement vive dans certaines disciplines. Depuis plusieurs années déjà, le nombre de postes disponibles au CAPES de maths est supérieur au nombre de candidats. De ce fait, près du quart des emplois supplémentaires prévus entre 2013 et 2015 n’a pas été pourvu.

Voilà le tableau, il est noir. Et qui profite de cette crise ? Le secteur privé bien entendu. Il ne s’est jamais aussi bien porté. Qu’il soit catholique, juif, musulman ou laïc.

Cette semaine, l’émission Infrarouge proposait le documentaire Un pas après l’autre plébiscitant le cours Alexandre Dumas, une école privée laïque de Montfermeil commune de Seine-Saint-Denis. Un documentaire d’une école où l’on apprend aux enfants à être fiers d’être Français avec des méthodes quelque peu surannées mais tout à fait acceptables. La seule vraie révolution à y voir étant les effectifs d’élèves très réduits qui permettent aux adultes d’avoir des relations privilégiés avec leurs élèves. Pourtant, le succès de cette école est révélateur de la volonté politique qui anime un candidat comme François Fillon.

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Encouragé par le maire de Montfermeil Xavier Lemoine du parti des chrétiens démocrates, le cours Alexandre Dumas est une structure privée créée en 2012 hors contrat et financée par la fondation Espérance Banlieues, proche de la mouvance catholique traditionaliste. L’école, installée dans des préfabriqués sur un parking de la ville loué à un prix symbolique par la mairie, s’adresse à des élèves du CP à la troisième en échec scolaire pour les remettre en selle et affirme vouloir répondre à la crise éducative des banlieues. Coûtant 750 euros par an aux familles et financée par des mécènes, elle séduit tous les milieux sociaux, notamment des élèves de la cité voisine des Bosquets, à l’instar de la jeune Sihame dans le film. Les parents sont évidemment attirés par ses petits effectifs, le port de l’uniforme et la rigueur souhaitée par la direction. Le directeur Alberic de Serrant veut ainsi inculquer l’amour de la France à ses élèves, notamment par la levée du drapeau une fois par semaine, comme il l’explique à l’AFP : « _L’enfant va découvrir sa citoyenneté française par le respect du drapeau. Il va comprendre que le drapeau, quand il est monté et qu’il vole, le pays est en forme, quand on le plie, on le plie avec le bleu en apparence parce qu’on est dans la paix. »

Rien de bien méchant mais rien de révolutionnaire non plus. Ce qui est gênant, c’est que le documentaire se soit contenté d’une immersion dans la vie de cet établissement sans comprendre les raisons de ce succès ni les bases de cette structure qui prétend « arracher les enfants de banlieues à l’abandon scolaire » (1).

Pourtant, cet établissement ne fait pas consensus. L’opposition municipale montfermeilloise a fustigé cette école pour cette mise à disposition d’un lieu communal à un prix défiant toute concurrence, lieu nécessitant d’importants travaux de mise aux normes pour accueillir les préfabriqués. Le président de l’union des familles laïques, Christian Gaudrey, a également affiché son mécontentement pour une raison bien précise. La fondation Espérance Banlieues qui gère l’école étant reconnue d’utilité publique, l’établissement reçoit des dons défiscalisés ce qui revient à un « financement déguisé de l’État d’écoles » qui exploitent _« les failles du système public », attirant des parents désemparés devant l’échec scolaire de leurs enfants.

Le documentaire ne montre pas non plus où ont été formés les professeurs ni que certains élèves sont renvoyés dans leurs écoles d’origine, notamment celles du quartier des Bosquets. Dans l’une de ces deux écoles, on a attendu la rentrée 2016 pour enfin avoir un maître supplémentaire qui aide les deux enseignants du CP à apprendre à lire et écrire à leurs 48 élèves dont une partie non négligeable n’est pas francophone. On peut ainsi faire un rapprochement évident entre l’État qui facilite la défiscalisation de grandes fortunes françaises finançant l’association Espérance Banlieues (Bettencourt ou Bouygues pour ne citer qu’eux) et les budgets trop serrés de l’Éducation nationale qui ne permettent pas de recruter des professeurs en nombre et en qualité.

En attendant, grâce à son parrain Harry Roselmack, l’école a bénéficié d’une couverture médiatique plus qu’élogieuse, ce qui a certainement favorisé son succès immédiat. Le documentaire produit par Mélissa Theuriau et relayé avec enthousiasme par son conjoint Jamel Debbouze sur les réseaux sociaux va perpétuer cette image d’une fondation qui a ainsi de beaux jours devant elle.

Alors oui, l’enseignement public dans le département de Seine-Saint-Denis est en crise profonde. Il mérite mieux. Dans l’académie de Créteil, sur les 650 postes de professeurs des écoles créés, 500 ont été affectés à ce département qui bénéficie en plus d’un concours spécial pour la deuxième année consécutive avec 500 places à la clé. Malgré cette aide accrue d’un département qui en a bien besoin, le journal Le Parisien annonçait mercredi 18 février 2016 qu’entre 250 et 400 classes étaient chaque jour sans professeurs, ce qui provoquait le mécontentement légitime des familles se sentant abandonnées par l’État.

Rappelons aussi que ce concours spécial 93 créé en 2015 s’adresse à tous les candidats ayant échoué dans les différentes académies. Un concours au rabais en somme pour un département qui aurait besoin de professeurs de qualité et surtout expérimentés. Au regard des besoins de maîtres supplémentaires (trois professeurs pour deux classes par exemple), de la reconstitution du RASED (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) mis à mal sous Nicolas Sarkozy et de la scolarisation des enfants de moins de trois ans, ce nombre de postes créés est donc très insuffisant et nécessitera comme chaque année l’emploi de centaines de vacataires et contractuels, à peine formés.

Ainsi, en liant ces deux documentaires on peut donc en conclure que l’école publique va mal et que seul le secteur privé peut finalement résoudre ses problèmes. Et quel est le candidat le plus en phase avec ce constat ? François Fillon pardi !

Le candidat des républicains a tout renversé sur son passage avec ses promesses on ne peut plus réactionnaires. Moins de professeurs encore, plus d’autorité, moins de pédagogie et une vision de l’éducation des plus rétrogrades notamment en histoire, la matière que j’enseigne. Une matière qui doit aider nos élèves à se forger une culture commune évidemment. Contrairement à ce qui a été dit hier soir lors du débat opposant Alain Juppé à François Fillon, la chrétienté est toujours enseignée à l’école.

À lire >> Réforme du collège : l’enseignement du christianisme n’est pas liquidé au profit de l’islam

Être professeur, c’est participer aussi au développement d’esprit critique de nos élèves. La volonté de François Fillon de mettre la main sur les programmes en inculquant un roman national, ce n’est pas de l’histoire, c’est de l’embrigadement pur et simple. L’essence même de notre métier est remise en cause sans que l’on se soucie du problème essentiel à savoir celui d’un encadrement convenable de nos élèves qui constitue le socle de la réussite. Ces deux documentaires expliquent donc très bien les conséquences de cette vision libérale qui se diffuse dans notre société et qui se répercute forcément sur le système scolaire mettant en péril notre mission.

(1) Newsletter de la fondation en mars 2014.

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