Bonjour chez vous !

Dans la foulée du Muslim Ban, le département de la sécurité intérieure envisage maintenant d’exiger des ressortissants étrangers souhaitant entrer sur le sol américain qu’ils divulguent leurs identifiants sur les réseaux sociaux. Une coalition d’associations de défense des libertés s’insurge et souligne les graves conséquences qu’aurait une telle pratique.

Christine Tréguier  • 2 mars 2017
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Bonjour chez vous !

John Kelly, secrétaire à la sécurité intérieure de Donald Trump, l’a dit devant une commission du Congrès consacrée au fameux décret anti-immigration signé par le Président américain, il veut avoir accès aux identifiants des visiteurs étrangers, à tout le moins des ressortissants des sept pays mentionnés dans ledit décret (Yémen, Iran, Libye, Somalie, Soudan, Syrie et Irak). « Si quelqu’un veut entrer dans notre pays, a-t-il déclaré, nous voulons pouvoir leur dire, par exemple, quels sites visitez vous ? Donnez nous vos mots de passe […] si ils veulent vraiment venir en Amérique ils coopéreront […] sinon au suivant ».

L’an dernier déjà, Obama avait accepté, à la demande pressante du Département de la Sécurité intérieure (DHS), que soit demandé aux visiteurs étrangers entrant sans visa d’indiquer leurs comptes sur les réseaux sociaux sur la fiche remplie avant de débarquer et sur les demandes en ligne d’autorisation de voyage (ESTA). En août, une coalition d’associations parmi lesquelles l’Electronic Frontier Foundation (EFF), l’American Civil Liberties Union (ACLU) ou le Center for Democracy & Technology (CDT) avait, dans une lettre ouverte, qualifié ce projet de dangereux pour les libertés, hautement intrusif et potentiellement discriminatoire. « Les identifiants d’une personne sont des portes d’accès à une énorme quantité de données sur ses communications et associations en ligne, révélant des informations sensibles sur ses opinions, ses croyances, son identité et sa communauté » avaient-ils souligné ajoutant que la collection d’information sur les identités en ligne de la DHS n’était « qu’un programme de surveillance pour le renseignement travesti en mécanisme d’administration douanière ». Mais le champ reste optionnel et il n’est aucunement question de mot de passe.

Deux semaines après les propos de Kerry, la coalition a plus que doublé et elle a vertement réagi en publiant un court communiqué titré « Non le DHS n’a pas à demander les mots de passe des médias sociaux ». Tout en rappelant que le DHS joue un rôle important dans la protection des frontières, elle est catégorique : « _demander des mots de passe ou d’autres informations de comptes sans motif ne parviendra pas à accroître la sécurité des citoyens américains et est une attaque directe contre les droits fondamentaux ». Permettre de fouiller dans des années de correspondances, de textes et de messages portera atteinte aux américains en contact avec les personnes visées. Ceux-ci pourraient faire l’objet de la même exigence si d’autres pays décident de faire de même. Ce genre d’exigence nuit à l’économie et au tourisme et met en danger la liberté d’expression, les droits de la presse, la liberté religieuse etc. La conclusion est sans détour : « la première règle de sécurité en ligne est simple : ne partagez pas vos mots de passe » et aucun organisme gouvernemental ne doit saper les fondements de la sécurité.

Un douanier fouinant dans le compte Facebook d’un voyageur avant de le laisser passer… voilà qui rappelle furieusement un épisode de l’excellente série dystopique Black Mirror. Elle se déroule dans un avenir où la vie de chaque être humain est archivée et consultable à loisir sur une sorte de lecteur MP3 individuel. Par celui qui le porte et par d’autres. Hormis les rêves, tout ou presque est enregistré et cette archive est le summum du contrôle et de la co-surveillance des individus. Les couples s’espionnent et espionnent leur nounou ou le plombier venu réparer la douche. Les employeurs s’assurent du meilleur candidat à un poste en passant sa vie en accéléré. La police, si une personne n’est pas au bon endroit au bon moment peut exiger de visionner une journée, une semaine, un an. La scène de la douane où Liam, le personnage central, rentre chez lui en avion, et doit faire défiler à la demande de l’agent de contrôle sa journée, puis son dernier mois en super-accéléré fait froid dans le dos. Tant on peut être sûr que si une telle technologie existait (et elle n’est pas techniquement inconcevable), on masquerait son essence orwellienne derrière les atours du plus de bien-être et de sécurité. Elle se répandrait parce que bonne pour identifier les malfaisants, pour confondre des suspects mais aussi disculper des innocents, pour être en meilleure santé, mieux protéger ses enfants, revoir à l’infini les meilleurs moments de sa vie, en partager certains avec ses amis….

C’est de la science-fiction mais que sont, pour une grande majorité des internautes, les comptes personnels sur les réseaux sociaux sinon un endroit où ils existent pour le monde et pour leur cercle d’« amis » en dévoilant et partageant des fragments de vie. S’ils le pouvaient, certains y exhiberaient volontiers la totalité de leur faits et gestes. On sait que dans certains cas, les services de police, s’ils disposent « d’indices graves et concordants » reliant une personne au terrorisme ou à la criminalité organisée, peuvent accéder à ces données sur réquisition judiciaire. Il n’y a qu’un petit pas législatif à franchir pour basculer de l’autre côté du Black Mirror et que la police des frontières, ou d’autres, puissent fouiller à loisir dans les comptes de ceux qui sont suspects simplement par leur appartenance à telle nationalité ou religion. C’est ce pas que John Kelly et l’administration Trump viennent de franchir en « y réfléchissant ».

Le communiqué de la coalition

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