Monsieur Gattaz, si le Medef faisait son travail, mes élèves auraient du travail

Suite à la publication d’un manifeste intitulé « éduquer mieux, former toujours », Le MEDEF menait une campagne en septembre pour une réforme du système scolaire avec un slogan polémique « Si l’école faisait son travail, j’aurais du travail ». Devant le tollé général suscité par cette formule, le patron de l’organisation patronale, Pierre Gattaz fut obligé de s’excuser publiquement. Des excuses filmées sur Twitter qui sont en fait une attaque en règle du système scolaire jugé seul responsable des maux de notre jeunesse. Voici ma réponse.

Jean-Riad Kechaou  • 5 octobre 2017
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Monsieur Gattaz, si le Medef faisait son travail, mes élèves auraient du travail
Illustration réalisée par Martin Ferrer, graphiste.

© Politis

Monsieur Gattaz, je ne reviendrai pas sur la campagne de communication du Medef concernant l’éducation. C’était une provocation méprisante du MEDEF et votre prédecesseure Laurence Parisot l’a très bien résumé en un tweet.

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Devant la polémique grandissante, vous avez donc présenté vos « excuses » dans une vidéo postée sur Twitter et vos propos sont d’un cynisme éhonté :

Je vois qu’il y a une polémique avec une communication au Medef sur l’éducation. Il faut réformer notre système d’éducation qui génère 100 000 décrocheurs par ans, 25 % de jeunes chômeurs qui fait que nous avons 300 000 emplois demandés non pourvus dans l’économie française. Tout cela doit être mis sur la table avec courage. C’est le sujet de cette campagne de communication que nous avons appelé « éduquer mieux, former toujours ». Je m’excuse auprès des enseignants qui auraient pu se sentir visés par cette campagne qui ne les visait pas du tout. J’ai trop de respect pour eux. Mais en effet, c’est le système qu’il faut revoir et je voudrais le faire avec eux. C’est d’ailleurs le but de nos propositions que nous avons mis sur internet. L’une des propositions est de travailler avec les enseignants en leur faisant confiance parce qu’eux connaissent le sujet. Voilà ce que je voulais dire, merci.

Avec ces pseudo-excuses, vous aggravez donc votre cas. Quelle malhonnêteté intellectuelle ! À vous écouter, le système éducatif français serait donc le seul responsable des maux qui frappent notre jeunesse : décrochage scolaire, qualification inadaptée au marché de l’emploi et donc chômage. Rien que ça.

Que le patronat soit lui-même exemplaire avant de donner des conseils

Oui le système éducatif français rencontre des difficultés, oui des réformes sont certainement nécessaires mais des propositions venant du patronat sont difficilement audibles actuellement.

Pourquoi ? Car votre organisation et un nombre malheureusement important de patrons font preuve d’un égoïsme et d’un appât du gain totalement démesuré.

Doit-on vous rappeler les allègements fiscaux du CICE sous François Hollande qui n’ont pas généré le million d’emploi promis ?

Ou plus récemment le fait que les actionnaires français aient encaissé lors du deuxième trimestre de cette année 40,6 milliards de dollars en dividende. Un montant record qui place nos chers actionnaires largement en tête de l’Union européenne loin devant les entreprises allemandes qui dégagent pourtant plus de bénéfices. L’Allemagne, ce pays que vous citez quand cela vous arrange.

Il est donc compliqué d’écouter ou de lire des propositions venant du Medef mais j’ai quand même feuilleté votre manifeste pour l’éducation. Voilà ce qu’on peut y lire en préambule :

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Certaines de vos propositions sont intéressantes comme la liberté pédagogique que l’on doit accorder aux enseignants ou la valorisation de l’apprentissage. D’autres sont plus inquiétantes comme l’autonomie des établissements et le poids trop important que vous souhaitez accorder aux entreprises dans la filière professionnelle. Cela conduirait les entreprises à dicter leur orientation à nos élèves en fonction de leurs besoins et de leurs évolutions. J’ai bien ri aussi quand j’ai lu la dénonciation de l’inégalité des chances en fonction de l’origine sociale. La reproduction sociale, vous l’entretenez pour permettre à vos enfants et ceux de vos amis d’occuper les postes à haute responsabilité de vos entreprises. Votre père Yvon Gattaz était déjà entre 1981 et 1986 le patron du CNPF, ancêtre du Medef.

Sur la forme, on retrouve dans ce manifeste ce cynisme dont vous avez fait preuve dans votre vidéo. Certains des dessins caricaturent des enseignants complètement fermés à toute évolution. Vous expliquiez pourtant dans la vidéo que les enseignants ne devaient pas se sentir concernés par ces critiques. Que seul le système scolaire était visé…

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Dessins d’Antoine Chereau dans le manifeste du Medef « Éduquer mieux, former toujours »

300 00 emplois non pourvus… C’est faux !

C’est le même chiffre que vous citez depuis 2015. Il est faux, vous le savez et cela rend votre argumentaire moins crédible. Un peu de sérieux M. Gattaz ! Pôle emploi expliquait il y a un an que seuls 190 000 emplois n’étaient pas pourvus en France (chiffres de 2015).

Sur ces 190 000 emplois non pourvus, seuls 22 % des projets de recrutement ont été abandonnés dont la moitié faute de candidats adéquats. 34 % ont été abandonnés car l’entreprise n’avait plus besoin d’embaucher et 16 % faute de budget. Le reste des postes non pourvus (aux alentours de 28 %) sont encore à pourvoir.

Adapter la formation aux besoins des entreprises ne fera donc pas de miracles, c’est pourtant l’un des piliers de votre manifeste car vous envisagez l’emploi comme une marchandise qui s’échangerait sur un marché fictif composé de demandeurs et d’offreurs d’emplois. Ce n’est pourtant pas le cas.

Cette inadéquation entre offre et demande est plutôt la conséquence d’un système économique pervers qui décourage de nombreux jeunes à faire certains métiers trop éprouvants et pas assez payés. Surtout quand ces mêmes jeunes constatent que d’autres gagnent très bien leur vie sans trop suer. Mais ces postes à hauts revenus, ils ne sont que rarement pour eux même quand ils font des études longues.

Alors, que voulez-vous M. Gattaz ? Que le système éducatif français forme des jeunes se pliant à des conditions de travail exécrables dans des centres d’appels ?

« Cash investigation » l’a très bien montré cette semaine. On y apprend qu’un quart des salariés partent y travailler avec la boule au ventre, plus d’un tiers affirment avoir fait un burn-out et 43 % ressentent des douleurs à cause de leur métier. On comprend mieux le manque de motivation de certains décrocheurs ou même chômeurs quand on voit ces perspectives peu réjouissantes.

L’école participe à la formation des futurs citoyens, elle accompagne, elle aide des enfants, des adolescents, des jeunes adultes à s’épanouir. Elle n’a pas vocation à former une armée d’employés dans des secteurs déterminés à l’avance par le patronat.

En tant que professeur principal de troisième, je dois aider mes élèves à choisir leur orientation vers les lycées généraux ou professionnels. Pour ceux qui choisissent l’enseignement professionnel, c’est une tâche difficile. C’est violent, très violent d’expliquer à un adolescent de 15 ans qu’il doit choisir en quelques semaines une filière professionnelle et donc un métier. Pourtant, ces élèves multiplient les stages en entreprise, les visites de forum de métier, de lycées et nous ne considérons pas, contrairement à ce que votre organisation pense, qu’il faut éloigner les entreprises de nos établissements.

Au final, il faut trouver l’orientation la plus adaptée au niveau, à la motivation et au souhait de l’élève qui cherche souvent sa voie… Si vous voulez que la jeunesse se dirige vers des filières riches en emplois, faites en sorte de rendre ces emplois attractifs (salaire, évolution de carrière, conditions de travail).

100 000 décrocheurs : oui, mais…

Le chiffre est bon. En mars 2017, la part de 18/24 ans ayant quitté le système scolaire sans qualification et restant sans solution s’élève à 9,3 % contre 11 % pour la moyenne européenne.

Nous devons être plus performants pour combattre ce décrochage. Mais sachez-le, nous nous y attelons. J’ai coordonné une structure de collégiens décrocheurs pendant deux ans et j’y ai vu un panel très large de décrocheurs.

Les raisons du décrochage sont diverses. Elles sont souvent liées à la crise que traverse la société française. Familles éclatées, manque de repères et d’idéaux qu’offre notre pays à sa jeunesse, ghettoïsation de quartiers périphériques aussi où certains élèves ne voient plus l’école comme une chance… Les facteurs de décrochage sont si nombreux que je ne pourrai tous les citer ici. Certains élèves pourtant brillants peuvent ainsi se retrouver en situation de décrochage. Toute la société a sa part de responsabilité.

Quand à l’Éducation nationale elle lutte activement contre ce fléau. Entre les Ulis dans les écoles (unités localisées pour l’inclusion scolaire), les UPE2A (unités pédagogiques pour les élèves allophones arrivants),le RASED (réseaux d’aides spécialisées pour les élèves en difficulté), les GPDS (groupes contre le décrochage scolaire) dans les collèges, les écoles citoyennes pour accueillir les élèves exclus, les classes Segpa (section d’enseignement général et professionnel adapté), les dispositifs relais, les MLDS (mission de lutte contre le décrochage scolaire) au lycée, et j’en oublie, la lutte contre le décrochage est bien présente dans l’Éducation nationale. Cela fait beaucoup de sigles et il y a des femmes et des hommes dévoués derrière ces lettres qui cravachent parfois avec peu de moyens. On pourrait aussi citer en dehors de l’Éducation nationale le travail remarquable des éducateurs spécialisés et des missions locales aussi.

L’Éducation nationale n’abandonne donc pas ces élèves. Oui, l’école doit être plus inclusive encore. Mais il faut un meilleur encadrement, moins d’élèves par classe en primaire pour commencer (et pas uniquement dans les réseaux d’éducation prioritaire) et donc un budget à la hausse. Pour ce faire les recettes fiscales devraient augmenter… Partant M. Gattaz ?

25 % de jeunes chômeurs… La faute au système scolaire seulement ?

En août 2017 il y avait 22,7 % de jeunes actifs (moins de 25 ans) au chômage en France.

Évidemment, ceux qui sortent sans diplôme sont les plus concernés. Ce serait donc la faute uniquement du système scolaire. Il a bien des défauts, je vous l’accorde, mais il faudrait faire preuve d’un peu de retenue.

Le patronat a sa part de responsabilités dans ce taux effrayant. Multiplications des stages, CDD non renouvelés, les jeunes Français, mêmes diplômés, galèrent pour trouver un emploi stable. Stabilité qui vient de voler en éclat avec la loi travail de 2016 et les ordonnances signées récemment par le président de la République. La jeunesse française est inquiète et vous la méprisez.

Cette génération précaire, il serait temps de l’écouter. C’est en lui proposant de bons salaires, des perspectives d’évolution de carrière et des bonnes conditions de travail que vous la motiverez. Je radote, je sais, mais la pédagogie est l’art de la répétition.

La morale enseignée à l’école est une morale civique en lien étroit avec les principes et les valeurs de la citoyenneté républicaine et démocratique. Ces valeurs sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la solidarité, l’esprit de justice, le respect et l’absence de toutes formes de discriminations.

Si vous aviez été mon élève, la note de votre copie n’aurait donc pas été bonne. Il faudrait peut-être envisager d’ailleurs de revenir sur les bancs de l’école pour y suivre des cours d’éducation morale et civique. La finalité de cet enseignement énoncée ci-dessous vous serait utile :

Je vous laisse deviner sur quelles valeurs il faudrait travailler avec vos collaborateurs du Medef pour que mes élèves aient tous du travail dans le futur…

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Temps de lecture : 11 minutes
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