Désorienté par l’orientation de mes élèves

Fin mars, les professeurs principaux de troisième sont confrontés comme chaque année au difficile exercice de l’orientation des élèves qu’ils ont en charge. Avec l’aide de la conseillère d’orientation-psychologue et du chef d’établissement, l’enjeu est de trouver une orientation adaptée aux souhaits de l’élève en conformité avec son niveau scolaire. Un exercice qui s’avère parfois périlleux.

Jean-Riad Kechaou  • 31 mars 2017
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Désorienté par l’orientation de mes élèves
photo : MYCHELE DANIAU / AFP

Elle s’appelle Esin. Je l’ai croisée un vendredi soir à un arrêt de bus. Elle rentrait chez elle et m’a interpellé.

– Bonjour M. Kechaou !, m’a t-elle dit avec un grand sourire.

– Bonjour Esin, comment vas tu ? Tu as eu ton bac pro ?

– Mais non Monsieur, j’étais au lycée général, j’ai eu un bac STMG [bac technologique centré sur le mangement et la gestion]

– Ah, c’est super, je suis content pour toi, lui répondis-je un peu gêné

– Je suis en BTS vente cette année et je compte bien continuer après !

Aucune animosité, ni revanche dans sa phrase. Elle aurait pu. J’étais plus que sceptique sur son orientation lorsqu’elle était en troisième. J’ai même dû émettre des réticences à l’époque en tant que professeur principal. Ses carences en français étaient importantes, mais elle travaillait dur et se débrouillait dans les matières scientifiques, suffisamment apparemment pour qu’on la laisse aller au lycée général. Comme si ce lieu était un graal.

Elle est donc passée en seconde générale et technologique et avait le profil pour rejoindre le cortège de nos élèves réorientés vers une voie professionnelle en fin de seconde. Ils sont en effet nombreux chaque année dans cette situation. Le doublement de la classe de seconde étant devenu rarissime, quelques élèves réorientés sont admis directement en première d’un bac professionnel mais beaucoup doivent repartir à zéro comme s’ils étaient en fin de troisième. Avec un bémol, et il est de taille, les élèves de troisième sont prioritaires sur les vœux en voie professionnelle ce qui rend ainsi leur tâche plus difficile pour obtenir un bon bac professionnel.

© Politis

Crédit: Brochure Onisep, Après la 3ème, rentrée 2017

Choisir à 15 ans une orientation par défaut pour une filière professionnelle

Monsieur, franchement, à 15 ans, comment on peut savoir ce que l’on veut faire plus tard ? Vous le saviez vous ? Je préfère aller en seconde générale et je verrai plus tard.

Voilà ce que m’a déclaré un élève à qui j’expliquais que ses notes ne lui permettaient pas d’envisager une orientation vers une seconde générale et technologique en l’encourageant à faire des vœux en filière professionnelle.

Gérer l’orientation de ce type d’élèves de troisième est un sacerdoce. C’est violent, très violent d’expliquer à un adolescent de 15 ans qu’il doit choisir en quelques semaines une filière professionnelle et donc un métier. Les Bac professionnels offrent une formation de qualité, c’est indéniable, Ils permettent de s’insérer professionnellement si l’élève ne veut pas faire d’études après le bac et donne aussi la possibilité de faire un BTS suivi parfois d’une licence professionnelle. Ce ne sont pas (plus) des voies de garage comme certains peuvent encore se l’imaginer aujourd’hui.

Les bac professionnels les plus demandés nécessitent même un entretien au préalable face à un jury qui émettra un jugement décisif pour l’élève (entretien Pass pro). Que les meilleurs Bac pro soient aussi contingentés n’est pas normal d’ailleurs. Pour nos élèves qui savent vraiment ce qu’ils veulent faire, le second ou troisième vœu en filière professionnelle c’est souvent un choix par défaut. Je pense à cet élève qui souhaite aller faire de la mécanique, il a multiplié les stages, est motivé et a bien préparé son entretien. Néanmoins, ses résultats sont faibles et ils seront pris en compte dans son affectation. Il a choisi les métiers de la sécurité en second vœu sans être réellement motivé. Je lui ai proposé d’autres filières qui me semblaient plus proches de la mécanique telles qu’électronique ou techniciens d’usinage. Il a tout écarté et ne jure que par la mécanique. On ira lui dire ensuite à lui ou à d’autres qu’il ne faut pas décrocher au lycée professionnel alors qu’il ne connaissait même pas l’existence du métier pour lequel on l’a destiné six mois avant d’entamer sa formation. Ce sera au tour de la MLDS (mission de lutte contre le décrochage scolaire qui intervient dans les lycées ) en partenariat avec les missions locales d’aider tous ces élèves de plus de seize ans déscolarisés car mal orientés.

On ne peut caser des élèves en voie professionnelle en fonction de la demande du marché !

Pour nos élèves en réussite, pas de problèmes d’orientation, le lycée général et technologique leur permet de repousser de trois ans leur orientation professionnelle. Certains choisissent même une filière professionnelle car ils savent ce qu’ils veulent faire et c’est très bien. La voie professionnelle n’étant pas destinée aux élèves en échec scolaire !

On se retrouve néanmoins confronté aux réactions apeurées des parents qui considèrent cette voie comme une punition pour leurs enfants, les lycées professionnels font encore peur et c’est dommage. On essaie de leur expliquer que le bac général doit être forcément suivi d’études et que l’on est censé être moins au chômage quand on est détenteur d’un bac professionnel mais ce n’est même pas le cas en France, contrairement aux autres pays de l’OCDE. Il est ainsi plus facile pour les parents d’accepter pour leurs enfants une formation en alternance dans un centre de formation pour apprentis. Il y a moins de sélection à l’entrée mais un souci majeur qui réside cette fois dans la recherche du patron.

Le problème, mon problème actuel se situe donc surtout pour ses élèves au niveau fragile (entre 7 et 10), qui ont des capacités mais qui ne travaillent pas suffisamment. Les laisser partir en seconde générale et technologique c’est les envoyer au casse-pipe. On nous le reproche même lorsque l’on fait des réunions de liaison collège-lycée. Leur refuser cette voie en les forçant à choisir une voie professionnelle, c’est tout aussi dur. J’ai parfois ce sentiment d’être un agent des grandes entreprises françaises qui place ces adolescents en fonction de la demande du patronat. Je n’ai pas été formé pour ça, je refuse même de me soumettre à cette idée. Et puis, qui me dit que ces élèves ne vont pas se révéler ?

Puis à l’école hein, l’école. Tu demandes à chaque mec des cités : t’as quoi comme diplôme, enfin comme brevet ? Il va te sortir j’ai un BEP moi. BEP, tu crois qu’tu vas faire quoi avec un BEP, hein ? Eh, combien de millionnaires en BEP, hein ? Aujourd’hui tu vas voir la conseillère d’orientation. Elle te sort ouais, moi j’ai un bon plan pour vous, faites un BEP chaussure. Hé, j’lui fais moi, les gens ils m’ont attendu pour marcher moi. Hein, BEP chaussure ?! Elle va te faire : bah alors un BEP chaudronnerie monsieur ! Chaudronnerie enfoirée ! Tu crois que je vais faire quoi avec la chaudronnerie moi : chaudronnier, hein ?! Tu crois que je vais faire quoi avec un chaudron ?

La maturité aidant, tout ce que l’on a pu semer éclôt parfois un peu tardivement, mais il éclôt. L’élève en difficulté au collège peut être en situation de réussite au lycée. Comment peut-on émettre un jugement définitif sur des adolescents qui par définition sont en pleine transformation ? Alors, il faut faire un choix en concertation avec l’élève et les parents.

Cinq de mes élèves souhaitent absolument aller en seconde générale et technologique sans avoir le niveau requis pour y aller. « Troisième trimestre déterminant », voilà l’avis du conseil de classe du deuxième trimestre. On va devoir les contraindre à faire des vœux en filière professionnelle par défaut. Fin mai auront lieu les conseils de classe qui décideront de leur sort.

Se dire que l’avenir d’un môme de 15 ans va se jouer en six semaines, c’est rude. Je n’ai pas envie d’être considéré comme celui qui les a forcés à aller vers une formation professionnelle, orientation qui pourrait accélérer ou déclencher leur décrochage scolaire. Je repense ainsi à ces quelques phrases du rappeur Oxmo Puccino qui, vingt ans après, sont encore d’actualité.

Peu de gens savent, Oxmo Puccino, Opéra Puccino, 1998

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