19-06-18, Paris

Viviane, 25 ans, suit la Marche solidaire pour les migrants de Vintimille à Londres, organisée par l’Auberge des migrants. Au jour le jour, elle retrace son périple sur ce blog, illustré par des photographies du collectif Item.

Viviane  • 22 juin 2018
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19-06-18, Paris
Photo : étape de Macon à Tournus, 29 mai 2018.
© Crédit : Nicolas Leblanc / item

L'auteure : Viviane J'ai 25 ans, je suis originaire de Bretagne, j'ai fait des études de psycho. J'ai fait six mois de bénévolat à Calais puis j'ai été intégrée dans l'organisation de la Marche des migrants. Je ne sais pas où je serai dans six mois mais mon prochain projet est un voyage humanitaire au Togo. Mon père est vidéaste. Il m'a prêté sa caméra pour que je documente ce que je vis avec les marcheurs, mais je préfère écrire... Les photographes Le Collectif item est une structure de production indépendante qui se donne le temps et les moyens nécessaires pour construire de véritables sujets, pensés comme des récits photographiques à part entière. Il rassemble aujourd’hui 12 photographes, un graphiste et une vidéaste, autour de l’impérieuse nécessité de raconter le monde, pour ne pas rester les yeux fermés. Leurs travaux peuvent être vus sur leur site ici.
J’ai remarqué que les marcheurs sont nombreux à produire des choses : enregistrements audio, textes, vidéos, photos, musique. Ça permet de digérer, de témoigner. Je vois maintenant qu’on nous réclame ces productions. On veut de la substance, du témoignage. Les gens se sentent concernés. C’est une réussite de plus. Gabriel a écrit un texte qu’il a lu à la radio (vous pouvez l’écouter ici).

Plusieurs fois, on nous a dit que c’était dommage que la marche ne soit pas plus relayée par les médias nationaux. Pour moi, c’est pas le but ultime de la démarche. Il faut que les gens se sentent concernés pour adhérer à la cause. Est-ce qu’une personne se sentirait plus concernée derrière son poste de télévision entre l’annonce d’un ultime attentat et la météo ?

Ce midi, il y a eu reprécisions sur le fait que la marche est non-violente. J’y étais pas mais des marcheurs se sont attardés hier et chantaient dans le tram. Une dame a ragé contre eux. Une personne assise à côté a envenimé la chose en lui répondant violemment. Comment se situer face à la violence en tant que marcheurs ?

À la manif devant le Sénat : un sénateur est venu nous dire que même Collomb n’est pas venu défendre sa loi. Est-ce que c’est parce qu’il sait que c’est déjà gagné d’avance ?

Après la manifestation, la Coordination sans-papiers 75 et quelques marcheurs ont enregistré une émission de radio au jardin du Luxembourg. Un agent de sécurité du Sénat nous a dit qu’il était interdit enregistrer des sons, de filmer ou de photographier sans autorisation dans le parc. Nous avons répondu que plein de touristes prenaient des photos. Sans autorisation. Son contre-argument a été qu’un T-shirt avec écrit dessus : « Loi asile et immigration – chutes droits » est considéré comme la suite de la manifestation de ce matin, ce qui est interdit. Le T-shirt a été remplacé et la suite de l’enregistrement a été déplacée. Voilà, application de la marche non-violente. Notre présence suffit pour gêner.

Trop bonne soirée ! On s’est fait un resto indien pas trop cher mais un peu limite niveau hygiène. J’ai eu des frissons en mangeant. « Ça change des sandwichs ! » me suis-je exclamée.

Décidément, rentrer en métro seule ça fait partie des moyens que j’ai pour me ressourcer face à cette vie sociale bien trop riche pour être digérée à temps. « Billie Holiday – Automn In New York » dans les oreilles. J’ai quitté les autres malgré l’annonce de la soirée attirante : chanter sur les quais. Tant pis, je profite de notre halte pour dormir un max.

La vie est toujours plus belle quand on dort assez. Le métro est bondé et ça ne me gêne pas. Je trouve les gens qui m’entourent très beaux. Beaucoup de personnes sont très bien habillées ici. Pour moi c’est parce qu’elles ont le temps de penser à ça, ça fait partie du luxe de l’abondance. On ne se soucie pas des mêmes choses lorsqu’on est dans la précarité. À Calais, le style vestimentaire c’est très important pour les migrants. Peut-être justement pour ne pas être vu comme un précarisé.

J’ai aussi moins peur du contact social quand j’ai assez dormi. Je suis comme plus résistante aux frustrations et contrariétés que peuvent apporter tout contact avec les autres. Pourtant mes hormones me tirent vers le contraire en ce moment… J’aime ce courant d’air qui me décoiffe. Pour l’apprécier en profondeur je ferme les yeux. Attention il ne faut pas louper l’arrêt Porte de Bagnolet. J’ouvre les yeux. J’aime ce jeune homme qui me regarde en train de me faire décoiffer avec un sourire au coin des lèvres. J’aime les autres et je me sens aimable quand j’ai assez dormi. Ça vaut le coup de louper une soirée qui pourrait être mémorable si le lendemain promet d’être encore plus incroyable. C’est plus rentable.

© Politis
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Temps de lecture : 4 minutes
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