Gauche et gauches

Michel Soudais  • 15 février 2007 abonné·es

Cette bourde-là est passée inaperçue. En commençant son discours, dimanche, à Villepinte (Seine-Saint-Denis), devant une salle comble de militants du PS, d’internautes de la Ségosphère, de paroissiens des comités Désirs d’avenir, et saupoudrée de quelques radicaux de gauche et chevénementistes, Ségolène Royal s’est dite « heureuse de voir toute la famille de la gauche rassemblée » . À cet instant, les Verts, les communistes, les trotskistes, les altermondialistes, les républicains sociaux et alternatifs de tout poil, qui n’avaient pas préféré le match de rugby à la télé, ont pu se sentir exclus de la famille de la gauche.

La question n’est pas tant de savoir si cette excommunication était ou non délibérée. Elle est révélatrice de la perception du champ politique en cours au sein du PS. Hors de ce pré carré partisan et de l’UMP, rien n’existe ! François Hollande l’avait dit à sa manière, quelques instants plus tôt : Ségolène Royal « est la seule qui porte un projet alternatif à la droite, […] la seule qui puisse être au second tour de l’élection présidentielle contre la droite » . Elle est donc, pour le Premier secrétaire du PS, « le seul changement possible dans cette élection » . Encore ce propos pouvait-il passer pour un constat, depuis que le rêve d’un autre scénario s’est brisé avec la folle dispersion de la gauche antilibérale.

Avec la petite phrase maladroite de Ségolène Royal, c’est le démon de l’hégémonie du PS qui refait surface. Les Verts l’ont encore éprouvé tout récemment. Les négociations entre les deux formations en vue d’un accord pour les législatives sont bloquées, à la suite de la décision des socialistes d’en renvoyer la signature au lendemain du premier tour de la présidentielle. Samedi, Cécile Duflot, la jeune secrétaire nationale de la formation écolo, a donc prévenu que les élus de son parti pourraient devenir des partenaires moins « loyaux » . Le désaccord est électoral : les dernières propositions socialistes ne portent que sur 20 circonscriptions dont 15 gagnables ­ avec 35 circonscriptions, le PRG a été mieux servi ­, or les Verts veulent pouvoir constituer un groupe (20 députés) pour « peser sur les débats parlementaires » . Mais pas seulement. Les Verts soulignent aussi des divergences fortes, notamment sur le nucléaire, ainsi que l’absence de discussions sur des sujets « importants » , comme l’extension des 35 heures ou la renationalisation d’EDF.

De ces deux points d’achoppement, le refus de la discussion programmatique est sans doute le plus grave. Le plus chargé de péril. La même attitude est observable à l’égard du PCF. Marie-George Buffet, sa candidate, a édité un programme édité à un million d’exemplaires. Elle avance des propositions dans la campagne, critique celle du PS sur le ton mesuré qui sied entre partenaires potentiels. Qu’en pense le PS ? Que répond-il ? Rien.

François Hollande serait bien inspiré d’engager le dialogue avec toutes les gauches, au lieu de sommer la gauche antilibérale de dire si elle veut « envoyer un message de radicalité sans lendemain » ou « battre la droite et transformer le pays » . L’ignorance hautaine dont le PS fait preuve à l’égard de leurs idées et programmes ne prépare pas un bon report de voix au second tour. Or, quel que soit le score de sa candidate au soir du 22 avril, le PS aura besoin des suffrages qui se seront portés sur Dominique Voynet, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot, Arlette Laguiller et maintenant José Bové.

Car il faudra bien compter aussi avec le célèbre moustachu du Larzac. Ou plutôt avec toutes les sensibilités unies autour de sa candidature et dont il n’est que le porte-voix. Son premier meeting de campagne, le 7 février à Aubagne, en présence de 2 500 sympathisants, a montré qu’il y avait de ce côté-là un enthousiasme communicatif. Une soif de faire passer trois messages, bien résumés par Yves Salesse. Il n’est pas possible de laisser les marchés financiers et les firmes transnationales diriger le monde. Des propositions réalistes, concrètes et immédiatement applicables existent pour une autre politique. Pour mettre en oeuvre cette politique, il faut une force qui rassemble. On peine à déceler dans ces trois messages la « radicalité sans lendemain » que porterait José Bové. Sauf à admettre que le PS a définitivement tiré un trait sur son passé. Son slogan de 1978, à peine modifié, figure sur une des deux affiches de José Bové. « Changer nos vies ici et maintenant », dit-elle.

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