« Vers un système politique nouveau», entretien avec Arnaud Monteboug

Arnaud Montebourg, député de Saône-et-Loire et initiateur d’un courant rénovateur au sein du PS, a été parmi les premiers à rallier Ségolène Royal, dont il est l’un des porte-parole. Il explique pourquoi.

Michel Soudais  • 22 février 2007 abonné·es

Comment peut-on avoir voté « non » au référendum sur le traité constitutionnel européen et se ranger derrière Ségolène Royal ?

Arnaud Montebourg : Considérer comme un axiome politique de cette présidentielle qu’un candidat du « oui » était inacceptable pour un électeur qui avait voté « non », et inversement, c’était décider, par la perpétuation d’une querelle interne à la gauche, que Nicolas Sarkozy devenait automatiquement président de la République. Dans la primaire socialiste, il y avait un candidat enfermé dans le « oui », un candidat enfermé dans le « non » et une candidate rassemblant les deux, qui a voté « oui » mais a tiré les leçons du « non ». Elle l’a fait à plusieurs égards : elle ne s’est pas contentée de déclarer caduc le traité constitutionnel européen, en s’attelant à une renégociation qui conduira en France à un nouveau référendum ; elle élargit l’exigence des leçons de la victoire du « non » à l’action que nous pouvons imaginer à l’égard de la mondialisation, ainsi que sur les terrains démocratique et social. Ségolène Royal a fait ce travail-là. Dans ses discours successifs, elle a posé les conditions d’une synthèse vertueuse entre le « oui » et le « non » de gauche.

Quand Ségolène Royal dit vouloir « une Europe qui protège ses citoyens » et qui ait pour objectifs la croissance et l’emploi, n’est-ce pas un simple retour au credo socialiste d’avant le référendum, qui n’a pas empêché des votes contraires ?

Vous avez raison de rappeler que la conception de l’Union européenne et de sa réorientation ont toujours fait l’unanimité au PS. Certains ont choisi le « oui » comme méthode stratégique d’avancée par le compromis, d’autres ont choisi la méthode du refus pour engager le bras de fer avec la dérive libérale de l’UE. Mais, dans les deux cas, nous sommes unis sur les buts ultimes. Ces buts sont ceux que l’on peut lire dans les résultats des urnes du 29 mai 2005 : la démocratisation de l’Europe, le contrôle politique sur la Banque centrale européenne (BCE), le gouvernement économique de la zone euro, la lutte contre le dumping fiscal et social, le refus de nouveaux élargissements de l’Union.

La remise en cause de l’indépendance de la BCE ne figure ni dans le Pacte présidentiel, ni dans le discours de Villepinte.

À Porto, dans sa conférence de presse du 11 octobre, pendant les débats de la primaire, Ségolène Royal s’est exprimée très clairement sur la critique du caractère technocratique des décisions de la BCE. « L’indépendance n’est pas incompatible avec une forme d’obéissance à des objectifs politiquement constitués que sont la recherche de la croissance et de l’emploi » , avait-elle dit. Cette question est donc dans le débat, comme celle du dumping fiscal et du dumping social, sur lesquels, à Villepinte, elle est revenue à plusieurs reprises, stigmatisant les délocalisations fiscales et en recherchant les solutions dans la coopération européenne et un traité social.

Et sur la mondialisation ?

Pendant des années, le PS a défendu la mondialisation heureuse avec une certaine naïveté. Ségolène Royal demande et exige que les règles sociales et environnementales soient au coeur du système commercial mondial, et particulièrement de l’OMC. En voulant une mondialisation qui protège les salariés européens, elle fait évoluer en profondeur notre logiciel politique. Elle a tiré les leçons du rejet du libre-échangisme commercial qu’on trouvait au coeur du traité constitutionnel européen.

On ne mène pas une politique de redistribution sociale sans désigner ses adversaires ­ à qui on va demander des sacrifices. Or, on n’entend rien de tel .

Je ne suis pas d’accord. Quand Ségolène Royal a évoqué, à la Halle Carpentier, la réconciliation nécessaire avec l’entreprise, la vraie, stigmatisant « le profit fainéant » qui ne s’investit pas dans l’économie, alimente les dividendes versés aux actionnaires ­ ce qui est le cas par exemple de Total ­, elle a désigné nos adversaires, qui n’ont pas manqué de la traiter de populiste ! Le rapport de Dominique Strauss-Kahn prévoit une taxe sur les superprofits des compagnies pétrolières. Nous préférons favoriser les revenus du travail plutôt que ceux du capital, cela aussi est rappelé dans chacun des discours de Ségolène Royal.

Comment appréciez-vous la position de Ségolène Royal sur le Proche-Orient ?

Elle rappelle la nécessité de la justice pour les Palestiniens et de la sécurité pour les Israéliens. Je pense qu’elle a ainsi résumé les échanges de concessions réciproques qui reviendront aux deux parties. On n’a jamais aussi bien condensé le problème proche-oriental que par ces deux mots : justice et sécurité.

La République nouvelle, ce n’est pas la VIe République, dont vous vous étiez fait une identité.

Certes, ce n’est pas notre VIe République. Mais heureusement que ce n’est pas celle de Bayrou, qui est ultraprésidentielle, la nôtre étant parlementaire. Avec Ségolène, nous avons pris la route pour une véritable « révolution démocratique », dont nul n’a encore mesuré l’ampleur. Les 30 révolutions institutionnelles additionnées du Pacte présidentiel bouleverseront radicalement le système politique en transférant des prérogatives présidentielles vers le gouvernement et le Parlement. C’est la fin du domaine réservé et du contrôle sur les nominations discrétionnaires, l’ouverture du système délibératif à la démocratie parlementaire avec un statut de l’opposition, l’entrée des partis minoritaires dans le système représentatif, la fin du cumul des mandats, le contrôle des finances publiques, un contrôle parlementaire puissant. C’est aussi –enfin !– un troisième pouvoir indépendant, la justice détachée du pouvoir politique (le président de la République ne préside plus le Conseil supérieur de la magistrature), une cour constitutionnelle digne de ce nom et relégitimée.

Le changement de nomination du Conseil constitutionnel n’est pas dans le Pacte présidentiel.

En effet. Mais cette idée fait consensus au PS. Pour moi, elle fait partie de l’ensemble des réformes qui seront soumises à référendum, en octobre 2007, sur le fondement de l’article 11, avec le droit de vote des étrangers, la démocratie sociale, le pluralisme des médias, la question de la charte de la laïcité et la démocratie participative, qui achève l’édifice par le bas, tous éléments rappelés dans son grand discours de Villepinte. Voilà un ensemble qui nous met dans un système politique tout à fait nouveau, avec des propositions qui sont pour la quasi-totalité d’inspiration « sixièmement ».

La rénovation, dont vous étiez le chantre, c’était Ségolène Royal ? Ou Ségolène Royal était-elle un instrument pour en finir avec les éléphants ?

La rénovation, ce sont des positions politiques que je défends toujours avec la même constance. Mais c’est aussi une stratégie politique d’alliances. J’ai construit une alliance avec Ségolène Royal dans cette présidentielle, précisément pour nous permettre de mettre en oeuvre des idées et des positions politiques qui ont toujours été contrecarrées par nombre des éléphants. Nous ne voulions pas que se reconstitue l’alliance des éléphants, qui, non seulement risquait de nous faire perdre, mais de surcroît nous aurait fait reculer dans le succès rencontré par nos positions.

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