La complainte des forestiers

Fabien Perrier  • 21 juin 2007 abonné·es

Tandis que la jeune chanson française est souvent engoncée dans un certain nombrilisme ou la description de son quotidien, il est un paysage musical qui semble considérer les menaces planant sur d’autres espaces que le « home sweet home » : l’Amérique du Nord, le Québec en particulier. Certes, dans l’Hexagone, Francis Cabrel faisait pleurer le bon Dieu dès 1994 en contemplant l’état de la belle bleue dans « Assis sur le rebord du monde » ; Mickey 3 D a percé avec « Respire », balade angoissante sur la vie menacée ; et des collectifs, comme la compilation OGM Planète en danger (avec Renaud, Sinsemilia, Manu Chao, etc.), ont rassemblé quelques morceaux où l’engagement environnemental et la question sociale se rejoignent. Mais, dans l’ensemble, les fréquences hertziennes ne diffusent pas de grandes chansons engagées reprises en choeur dans les salles de concert, ni de critiques acerbes du fonctionnement de la société et de ses retombées pour la planète.

Pour les grands bols d’air et les remises en question, il faut donc plutôt aller balader ses oreilles dans le Grand Nord. De Mes Aïeux et Karkwa aux Cowboys fringants ­ trois groupes montréalais ­ en passant par le Louisianais Zachary Richard, le Québécois Richard Desjardins ou encore les cosmopolites Dobacaracol, la francophonie nord-américaine a vraisemblablement repris le flambeau du protest song et mêle, en musique, les causes environnementale, sociale et linguistique.

Avec « Plus rien », les Cowboys fringants font danser les foules en décrivant les dernières heures du « dernier humain de la terre » . Dans « Lettre à Lévesque », ils prônent « un pays/qui ferait un compromis/entre les mots écologie/justice et économie » . Avec Lumière dans le noir, l’Américain francophone Zachary Richard a composé un opus baigné par la question de la nature et de sa gestion problématique par l’homme. Il dénonce les manquements du gouvernement en brossant un tableau sévère de l’après-Katrina (« la Promesse cassée »), et renvoie à l’histoire et à l’inconscience des hommes en narrant le tragique destin de « l’Île dernière », station balnéaire prisée au XIXe siècle, ravagée par un ouragan qui a balayé toutes les vies humaines. Quant à Edgar Bori, il s’indigne, dans « Chevaux sans musique », que l’ « on tourne dans une époque à vide », et s’inquiète du sort réservé « aux humains de la planète » dans « Ce sont ».

« Tous les chanteurs québécois ont un avis sur ce qui se passe en matière d’environnement parce qu’ils sont proches des États-Unis, et qu’ils ont besoin de se démarquer de leur politique . Ils défendent l’environnement comme ils défendent leur langue », explique Annie Benoid. Directrice de la maison de disques indépendante L’Autre Distribution, elle connaît bien la musique canadienne et sait que résistance, dénonciation et protestation sont des caractéristiques constantes chez ces artistes. Maurice Segall, directeur artistique depuis dix ans des Déferlantes francophones, festival qui fait connaître les chanteurs canadiens en France, ajoute : « Les Québécois n’ont pas le même rapport à la nature que les Français, qui vivent majoritairement dans les villes. » Le chanteur Richard Desjardins et Stéphane Archambault, parolier de Mes Aïeux, traduisent ce sentiment d’appartenance très ancré : « On a tous un grand-père ou un arrière grand-père qui était forestier, nous avons une connaissance intime de la forêt. »

Que l’artiste ait un rôle social à jouer, au quotidien comme en chanson, s’est imposé à nombre d’entre eux. À tel point que Richard Desjardins a mis un temps sa carrière entre parenthèses pour se consacrer à la lutte contre la déforestation en cours au Canada. Les Cowboys fringants ont créé une fondation pour la préservation du territoire. Mes Aïeux préparent une tournée avec Greenpeace. Les Dobacaracol s’activent avec l’association Eau Secours. Zachary Richard a créé la Fondation SOS musiciens, etc.

L’art de la chanson parvient-il à s’épanouir dans des décors de catastrophes climatiques ou de pollution ? Rock, folk, pop ou country, c’est presque une surprise, les albums de ces artistes engagés restent empreints d’une véritable fraîcheur, et même de brio. Il n’est que de constater leurs succès musicaux, le message passe.

Écologie
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