« Tortionnaire de bureau »

Patrick Cabouat retrace l’itinéraire de René Bousquet de l’Occupation à la haute finance,
ainsi que les complicités politiques dont il a bénéficié.

Jean-Claude Renard  • 8 novembre 2007 abonné·es

Manteau de fourrure, veston, cravate, le cheveu gominé, la raie comme il faut. Il arbore un visage épanoui, grand sourire. René Bousquet a l’air heureux, là, face à l’objectif, entouré de dignitaires nazis. Chapitre suivant. Juin 1949. La Haute Cour est réunie au palais de justice de Paris pour l’avant-dernier procès de la collaboration. Verdict : « Pour si regrettable que soit le comportement de Bousquet comme secrétaire général à la Police, il n’apparaît pas qu’il ait sciemment accompli des actes de nature à nuire à la défense nationale. » Il est condamné à « la peine minimale de cinq ans de dégradation nationale mais relevé de ladite peine » . Et l’acquittement est prononcé. Retour en arrière. Quand la guerre éclate, Bousquet a 30 ans. Il est secrétaire général de la Marne, puis préfet du même département. Il se révèle un « excellent » administrateur avant d’être promu préfet de la région Champagne en août 1941. Il prête serment au maréchal Pétain, jure fidélité.

Laval concentre l’ensemble des pouvoirs de la police et désigne Bousquet à la tête des forces de répression. En 1942, il est secrétaire général à la Police. Changement de fonction, donc de registre, pour tenir un rôle capital : livrer les Juifs apatrides réfugiés en France. Son idée : la reconquête nationale, faire le boulot contre les ennemis communs de Vichy : les Juifs, les francs-maçons, les communistes. C’est un technocrate froid et arrogant, orchestrant notamment la rafle du Vel d’Hiv. Avant de tomber en disgrâce dans l’esprit de Laval. Bousquet démissionne fin 1943. Il est arrêté en 1945 pour atteinte à la sûreté de l’État et trahison. La commission d’épuration prend son temps. Il est protégé. Plus les années passent, plus les verdicts sont indulgents. On connaît donc celui prononcé en 1949. Le « tortionnaire de bureau », selon l’expression de Badinter, est libre. On passe l’éponge.

Illustration - « Tortionnaire de bureau »


René Bousquet, en 1943, pendant des rafles à Marseille. AFP

Réalisé par Patrick Cabouat, ce portrait de Bousquet souligne comment l’homme est toujours passé à travers les mailles du filet. Il est blanchi en 1949 cependant que Mitterrand, porte-parole du gouvernement, est chargé de présenter au Parlement un projet d’amnistie générale pour tous les collaborateurs. Une seconde carrière s’ouvre pour eux, dans le privé. Bousquet se recycle dans la banque d’Indochine, versée dans le collaborationnisme économique. Discret, gestionnaire efficace, il en fait une banque métropolitaine d’envergure. Fréquentable, récupérant sa Légion d’honneur, admis auprès des politiques, il reçoit l’investiture de l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance), présidée par Mitterrand, sous l’étiquette Conciliation républicaine, pour les législatives de 1958. Ses proches ne sont pas d’extrême droite mais dans les rangs des radicaux socialistes de la région Midi-Pyrénées. Il est ainsi administrateur de la Dépêche du Midi . Mitterrand y trouve un appui financier dans sa campagne présidentielle de 1965. Bousquet mène ainsi sa barque pépère jusqu’à la fameuse interview de Darquier de Pellepoix, ancien commissaire de Vichy aux questions juives, dans l’Express , en 1978. Bousquet est cité comme le principal responsable de la rafle du Vel d’Hiv. Il faudra tout de même treize ans à Serge Klarsfeld pour le conduire au tribunal pour crime contre l’humanité. Mais, comme après la Libération, la justice procrastine. Mitterrand fait freiner les procédures sous prétexte de « réconciliation entre les Français » .

Finalement, Bousquet est assassiné par un illuminé, la veille de comparaître. C’est le procès manqué de l’État français. Pour certains, Henri Amouroux notamment, le meurtre est télécommandé. « On n’est pas secrétaire d’État pendant plus d’un an, au cours d’une période tragique, en 1942, sans savoir beaucoup de choses sur l’État et ses gens. » Le réalisateur se refuse à juger, il livre les propos sans parti pris, tout comme il nourrit son film d’images d’archives, puisées dans les actualités, de dessins représentant le procès de 1949, de photographies, de documents sonores, de témoignages de rescapés de la rafle. Il n’apporte pas une ligne de plus au CV édifiant de Bousquet. La musette est pleine, et déjà connue, publiée. Mais Cabouat a le mérite de la pédagogie (pour les jeunes générations), dans une chronologie où se croisent les relations sans ambiguïtés entre le pouvoir, la police et la milice sous l’Occupation, entre le pouvoir et la finance dans le monde contemporain. Au-delà de toute éthique. Et peu importe l’universelle vacherie.

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