Les nouveaux gueux

Pascal Catuogno signe un exceptionnel documentaire
sur les travailleurs pauvres, entre portraits et analyses.

Jean-Claude Renard  • 28 février 2008 abonné·es

Un constat pour commencer : « On a d’abord cru qu’il s’agissait d’une panne, pour reprendre l’expression d’Alain Madelin. On a ensuite parlé de « fracture sociale » (Chirac en 1995), puis de la « France d’en bas » (Raffarin en 2002). Certains ont mis en lumière la notion de peur d’un déclassement. » En attendant, l’ascenseur social est en panne. « Pire encore, il fonctionne à l’envers » , poursuit le réalisateur Pascal Catuogno. Il y a la pauvreté qu’on voit. Celle des exclus, celle de la rue, du sans domicile fixe. Il existe aussi une pauvreté invisible, celle des gens qui travaillent et restent calés dans la misère. Une misère digne, qui se tient, s’enfonce, s’éternise.

Aujourd’hui, deux millions de personnes gagnent moins de 800 euros par mois (selon un rapport de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale). Ils n’ont jamais été aussi nombreux, au sein d’une société pourtant riche. Près de la moitié alterne phases d’emploi et de chômage. Ils sont techniciens de surface, opérateurs, hôtesses de caisse, animateurs, distributeurs de publicité en boîte aux lettres. Des smicards à la ramasse. Des exploités du tertiaire pour qui la précarité et la peur sont le lot quotidien. Avec un leitmotiv : « Je ne m’en sors pas. »

Dans Je travaille mais je suis pauvre, Pascal Catuogno livre une galerie de portraits pour illustrer son propos. De-ci, de-là, on travaille en famille, non pas pour additionner les salaires mais pour conserver un seul maigre salaire, on cumule deux emplois, à raison de dix-sept heures par jour, pour parvenir à 1 200 euros, on cherche les ménages et les gardes d’enfants, ça joue la montre pour régler les créances, payer le terme en début de mois. Ric-rac toujours. Travail temporaire ou à temps partiel, travail au noir, chômage : depuis quelques années, c’est une véritable machine à entraîner les êtres humains vers le bas. Tout se passe comme si les efforts des uns et des autres ne se déployaient pas pour avancer, progresser, mais pour résister à la chute. Une chute organisée, où se mêlent le surendettement, la surconsommation, les crédits revolving , le marché juteux que représente ce nouveau prolétariat. Pour Catuogno, face aux milieux populaires, « désormais, non seulement l’État ne joue plus son rôle protecteur, mais il institutionnalise ce glissement (le travail à temps partiel en est un exemple). La promesse républicaine est trahie et l’effectivité même de l’État est en cause » .

Aux portraits, le réalisateur ajoute diverses analyses, recueille quelques voix trempées de pertinence. Gérard Filoche, inspecteur du travail, Jacques Cotta, auteur de Sept Millions de travailleurs pauvres , Paul Ariès, enseignant en sciences politiques à l’université de Lyon, auteur de Décroissance, un nouveau projet politique , Margaret Maruani et Claude Martin, chercheurs au CNRS, ou encore Philippe Askenazy, économiste du travail et Alain Mergier, sociologue, auteur du livre le Descendeur social . D’une observation à l’autre, une réalité s’impose : le destin d’un travailleur pauvre aujourd’hui, c’est de devenir très pauvre. Le destin d’un travailleur très pauvre, c’est d’être un SDF. In fine , selon Paul Ariès, on remarque combien « le travailleur pauvre remplit une fonction politique : faire peur à ceux qui ont encore un emploi sûr. Voilà ce qui risque de vous arriver si vous ne vous tenez pas tranquille » . Et cela peut arriver à tout le monde.

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