Une révision pour quoi faire ?

La réforme constitutionnelle adoptée en Conseil des ministres, en apparence séduisante, risque surtout de conforter le pouvoir personnel de Nicolas Sarkozy.

Michel Soudais  • 30 avril 2008 abonné·es

La réforme constitutionnelle adoptée le 23 avril en Conseil des ministres est présentée comme une « modernisation » de nos institutions. Le mot est à la mode et censé lever toutes les préventions. Qui refuserait de moderniser la Constitution de la Ve République, qui fête cette année son cinquantième anniversaire et accumule les critiques depuis sa naissance ? Qui plus est quand ce projet de révision constitue « la plus grande réforme de la Ve République depuis 1958 », selon Luc Chatel, le porte-parole du gouvernement. Qu’il vise à instaurer une « démocratie exemplaire », conformément à l’engagement de Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle. Et, assure l’entourage de ce dernier, « répond à toutes les critiques formulées par l’opposition contre les institutions depuis des années ».

D’un strict point de vue quantitatif, l’importance de la réforme envisagée est indiscutable : le projet de loi constitutionnelle que les députés commenceront à examiner le 20 mai modifie, complète ou réécrit 31 des 97 articles de la Constitution et en ajoute 5. Pour autant, il est plus douteux que ce texte, qui puise largement dans les propositions du « comité Balladur », modifie l’équilibre général de nos institutions, malgré ses trois objectifs affichés : « Mieux contrôler le pouvoir exécutif, renforcer profondément les pouvoirs du Parlement et accorder des droits nouveaux aux citoyens. »

Les pouvoirs du chef de l’État demeurent , même si plusieurs articles du projet les ­encadrent : le nombre de mandats consécutifs du président de la République est limité à deux (article 2) ; une loi organique fixe le nombre maximum des ministres et celui des autres membres du gouvernement (art. 3) ; un « avis » du Parlement est nécessaire pour les nominations les plus importantes, dont une loi organique doit préciser la liste (art. 4) ; le droit de grâce s’exerce après l’avis d’une commission (art. 6) ; lorsque la durée d’une intervention militaire extérieure dépasse six mois, le gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du Parlement (art. 13). L’exercice de l’article 16 de la Constitution, qui permet au chef de ­l’État de s’arroger les pleins pouvoirs dans des circonstances exceptionnelles, est lui aussi encadré – au bout de trente jours, les présidents des assemblées, 60 députés ou 60 sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel, qui « se prononce dans les délais les plus brefs par un avis public » –, mais il ne disparaît pas (art. 5).

Le projet de loi accroît les prérogatives du Parlement. Chaque assemblée retrouve la maîtrise de la moitié de son ordre du jour, et « un jour de séance par mois » est réservé à l’ordre du jour fixé par l’opposition (art. 22). Symbole de l’abaissement des droits du Parlement depuis 1958, le recours à l’article 49-3, qui permet l’adoption d’un projet de loi sans vote, est limité au budget de l’État, au budget de la Sécu et à « un autre texte par session » (art. 23). Sauf en procédure d’urgence, l’examen d’un texte en première lecture ne peut intervenir qu’après un « délai d’un mois après son dépôt », et « dans la seconde assemblée, quinze jours après sa transmission » (art. 16). La demande d’urgence du gouvernement peut être mise en échec par un veto conjoint des conférences des présidents des deux assemblées (art. 19). Autre innovation importante de l’article 16 : les projets de loi sont examinés en séance dans leur version adoptée en commission, sauf pour les projets de révision constitutionnelle, le budget et le financement de la Sécu, qui sont examinés dans leur version déposée par le gouvernement. Enfin, les assemblées peuvent désormais adopter, en tout domaine, des « résolutions » marquant un souhait ou une préoccupation (art. 12). Dans chacune d’entre elles, le nombre maximum de commissions permanentes passe de 6 à 8 (art. 17).

Afin d’assurer leur mission de contrôle, désormais expressément reconnue (art. 9), chacune des deux assemblées peut s’adjoindre le concours de la Cour des comptes (art. 21). Et « une séance au moins » de questions au gouvernement par semaine, « y compris durant les sessions extraordinaires », est instituée (art. 22).

Parmi les autres changements, les Français de l’étranger éliront désormais des députés, et le Sénat devra assurer la représentation des collectivités territoriales « en tenant compte de leur population » (art. 9). Les ministres récupèrent leur siège à l’issue de leur fonction gouvernementale, et toute modification de la carte électorale devra être soumise à « l’avis public » d’une commission indépendante (art. 10).

Trois nouveaux droits accordés aux citoyens complètent cette réforme : la faculté ouverte aux justiciables de contester, par voie d’exception, la constitutionnalité de dispositions législatives (art. 26 et 27) ; la possibilité de saisir par voie de pétition citoyenne (art. 29) le Conseil économique et social, qui a désormais vocation à intervenir sur les questions relatives à l’environnement (art. 30) ; l’institution d’un Défenseur des droits des citoyens (art. 31).

Quels que soient les bonnes intentions affichées et l’intérêt de certaines de ces mesures, cette révision constitutionnelle risque fort de consolider la pratique personnelle du pouvoir de Nicolas Sarkozy. La suppression de l’obligation d’un référendum pour ­ratifier l’adhésion d’un nouveau membre de ­l’Union européenne (art. 33) va dans ce sens. On se souvient que Jacques Chirac avait introduit cette disposition en 2004 pour rassurer les adversaires de la Turquie. Mais il était vite apparu que ce référendum obligatoire pouvait devenir un moyen de contestation des orientations politiques et économiques de l’UE. Trop risqué. C’est désormais le chef de l’État qui décidera, seul, de l’opportunité de recourir à une consultation populaire.

Il en est encore ainsi avec la disposition qui prévoit que le chef de l’État « peut prendre la parole devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès ou devant l’une ou l’autre de ses assemblées » (art. 7). Car, précise le texte, si « son allocution peut donner lieu à un débat », c’est « hors sa présence » et ce débat « n’est suivi d’aucun vote ». Le président de la République, qui conserve le droit de dissolution de l’Assemblée nationale, conforte ainsi sa prééminence institutionnelle tandis que son irresponsabilité, devant la représentation nationale, est symboliquement affirmée.

Pour l’ancien ministre socialiste Paul Quilès, auteur en 2001 d’un essai sur le rôle des députés [^2], certaines mesures destinées à renforcer les pouvoirs de ces derniers « représenteraient un réel progrès, si le travail parlementaire ne se limitait pas désormais à la transposition législative et réglementaire des choix préalables du Président ». Or, en privilégiant le travail législatif en commission plutôt qu’en assemblée plénière, la révision constitutionnelle poursuit un double objectif que ne cachent pas ses concepteurs : permettre « l’institution de procédures réellement simplifiées pour l’examen de textes à caractères techniques », comme les transpositions de directives européennes, où l’assemblée plénière n’aurait qu’à ratifier le travail en commission ; ouvrir la voie à une durée programmée de l’examen des textes et contrecarrer ainsi « les phénomènes d’obstruction parlementaire ». Difficile de prétendre, dans les deux cas, que le Parlement en sera renforcé.

[^2]: Les 577. Des députés pour quoi faire ?, Stock.

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