La très chère pub des journaux gratuits

Du papier à Internet, la presse gratuite s’est forgée une place dans les médias. Avec plus ou moins d’intérêt, mais dans la dépendance aux annonceurs.

Jean-Claude Renard  • 24 décembre 2008 abonné·es

Ça se bouscule dans la rue. Métro, 20 Mi­nutes, Direct matin, Direct soir … La presse gratuite d’information (PGI) est arrivée en France en février 2002. Sous la direction d’un groupe suédois, le journal Métro ouvrait alors le bal et profitait dès 2003 de la participation de TF 1 à hauteur de 34 %. Également généraliste, 20 Minutes lui a emboîté le pas. Ici, plus de 500 000 exemplaires distribués ; là, 700 000. De quoi inonder le pavé des urbains (la PGI n’a pas franchi encore le seuil des sous-bois et rase campagne). D’un journal à l’autre, financé exclusivement par la pub, il s’agit d’une série de brèves, de courtes infos, de l’actualité des people. Ni papier de fond ni enquête. En guise d’opinion, la météo et les programmes télé.
En juin 2006, le groupe Bolloré, déjà propriétaire de la chaîne Direct 8, s’est lancé dans la diffusion en fin de journée de Direct soir , journal « d’information et de détente » . Le groupe a poursuivi, en février 2007, avec Matin plus , rebaptisé récemment Direct matin , en partenariat avec le Monde (à hauteur de 30 %), ajoutant quotidiennement deux pages du quotidien du soir (une distorsion éditoriale qui a fait légitimement grincer les journalistes du Monde ). Pour le reste, même topo. Des publicités, des images, des couvertures qui vont de Céline Dion à différents ministres actuels et des entretiens, le plus souvent relayant la politique de Sarkozy. Une presse gratuite qui est à l’information ce que McDonald est à la gastronomie. Mais peu importe la qualité ; pour les actionnaires, cette presse est une affaire qui marche. Et ça pourrait durer. En novembre 2007, un sondage Ipsos révélait que 53 % des Français se satisferaient à l’avenir d’une information gratuite.

Illustration - La très chère pub des journaux gratuits


Affaire de contemporanéité, la technologie moderne s’est ajoutée dans le principe de gratuité. Sur Internet sont nés des journaux d’information généraliste gratuits. Qui reposent sur la même règle que la PGI : la recette publicitaire. Avec cependant une différence fondamentale. Des journaux, tels Rue 89 et Bakchich , présentent un réel contenu, loin d’un zapping de l’information.
À  Rue 89 , créé par des anciens de Libération , il existe deux principales sources de revenus. 60 % proviennent des recettes publicitaires, et 30 % de la vente d’un savoir-faire technique (comme la construction d’un site). 10 % enfin relèvent de la revente de contenus (articles et photos). Rue 89 compte dix-huit salariés en CDI (dont quatorze journalistes). Selon Pierre Haski, cofondateur du journal, un million d’euros de revenu annuel serait nécessaire pour que l’entreprise soit viable. Aujourd’hui, 60 % de cette somme est assurée. Le journal vise l’équilibre pour la fin de ­l’année 2009. L’inquiétude repose sur les effets de la crise actuelle. Le report de la pub, prévu dans l’escarcelle du web, va-t-il réellement s’opérer ?

Autre journal d’information généraliste et gratuit, Bakchich annonçait le 8 décembre dernier à ses lecteurs sa décision de rendre son site « partiellement payant » . En l’occurrence, « les off » , à considérer grosso modo comme les confidentiels du journal. Prix de ­l’abonnement : 35 euros par an, ou 10 euros par trimestre. Le journal s’est expliqué de manière transparente : « Le budget mensuel de Bakchich s’élève à 60 000 euros. Soit, pour l’essentiel, les douze ­salaires que nous versons aux salariés du site, tous titulaires d’un CDI, et les piges bien modestes consenties à nos pi­gistes. Pour l’instant, la publicité que nous donne Google couvre 10 % de ce budget. Seule la confiance de nos actionnaires nous a permis de tenir. Or nous devons aujourd’hui […] trouver le point mort, condition de notre indépendance à venir. Quelles sont les res­sources possibles ? Il en existe, selon nous, principalement trois : la publicité, la vente de contenu et les abonnements. »
Il y aurait une autre solution (qui sortirait d’une contradiction, voire d’une malhonnêteté intellectuelle et économique), c’est l’appel au don (ça existe ailleurs), bâti sur le rapport de confiance entre un journal et ses lecteurs. Reste que la gratuité a ses li­mites. Celles de l’indépendance. Pour l’heure, la récession du marché de la pub démontre la fragilité d’un modèle économique fondé sur cette seule ressource. Retirez Kenzo ou AGF. Et tout s’écroule.

Société
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