De quoi Hulot est-il le nom ?

Patrick Piro  • 15 octobre 2009 abonné·es

Vous n’avez pas aimé Home , de Yann Arthus Bertrand ? Alors allez voir le Syndrome du Titanic, de Nicolas Hulot. Le photographe et l’animateur télé font beaucoup moins la paire qu’on ne le pense.
Le premier a réalisé un collage de photos sublimes pour donner à contempler la planète en péril. Léché, pas habité, limite, même, de nous concerner vraiment. À la fin, pour donner de l’espoir ou bonne conscience, l’auteur montre des gens formidables. Et aussi, beaucoup, ses sponsors industriels, et l’ampleur d’une opération planétaire de communication : on ressort grugé par cette légèreté naïve, cette sensibilisation molle qui esquive l’analyse…
Hulot n’est pas Arthus-Bertrand. Il a fait un film, c’est-à-dire qu’il y a d’abord mis beaucoup de lui-même. Hulot assume toute subjectivité dès la première image : « Je ne suis pas né écologiste, je le suis devenu. »

L’image n’est pas ici pour exposer la planète à la troisième personne, mais en métaphore d’un propos. Et que dit Hulot ? Qu’il doute profondément de la capacité de l’humanité à détourner le Titanic de l’iceberg qui l’attend. « J’aimerais avoir tort, je crains d’être lucide enfin. » Ce n’est pas un film sur la fin du pétrole, l’eau souillée ou les forêts en feu, mais une réflexion intimiste sur le défi lancé à l’intelligence collective de l’humanité, sur l’hypothèse ténue d’une bifurcation heureuse de sa trajectoire mal barrée.

Des cages d’acier et de béton, des cages mentales, des murs absurdes, une chorégraphie amébée où une cohorte de derricks obtus acquiesce au défilé moutonnier des voitures roulant vers la casse. Des cimetières d’ordinateurs, d’hélicoptères de combat. Les cadres fixes du documentariste Jean-Albert Lelièvre, coscénariste et coréalisateur, laissent exploser la violence symbolique des séquences, souvent remarquablement montées. Cette station de ski sous dôme réfrigéré à Dubaï, ou encore l’obscène face-à-face d’une troupe de touristes filmant à bout portant quelques Namibiennes « en liberté ».

De la succession des thèmes – explosions nucléaires, murs érigés contre les migrants, villes nocturnes dégoulinant de lumières, montagnes éventrées par les excavatrices –, naît un sentiment de fatras : Hulot revendique son désarroi devant le chaos qui vient. Soutenue par la mise en son hachée de Lelièvre, émerge des images une esthétique de la fragmentation, grande faute qu’Hulot reproche à une société qui ne rassemble plus les humains : murailles de pixels, cloisons de cybercafés, clochardisation dans les interstices du luxe, salles de gym peuplées d’indifférents. « On flotte dans la plus grande confusion, entre virtuel et réel. »

Mais au fait, en quoi ça nous intéresse qu’Hulot soit « perdu » ? Certains s’agaceront de la litanie de ses pensées, dictée par sa voix un peu morne. Mais, au-delà de cet horizon narcissique, apparaît la nature profonde de l’objet : il s’agit d’un film citoyen et politique.

Hulot, depuis des années, chemine honorablement. L’animateur hédoniste a laissé éclore le militant sceptique, « en recherche pas à pas de la cohérence » . Avec le Syndrome du Titanic, il n’a jamais été aussi loin dans la critique du système, ce qui mérite attention, venant d’un faiseur d’opinion : « Je croyais à l’abondance. J’ai longtemps pris le progrès pour un processus irréversible auquel s’en remettre : c’est une maladie contagieuse. Peut-on être prospère sans croître ? J’ai quelques certitudes : le modèle économique dominant n’est plus la solution, mais bien le problème. Le capitalisme sauvage réduit tout à l’état de marchandise. Je m’insurge contre cet objectif de croissance qui n’a d’objet que lui-même. J’envisage le principe d’une croissance et d’une décroissance sélectives. Je crois à la sobriété heureuse. » Hulot livre un manifeste cathartique où chacun pourra reconnaître ses doutes.
Et quelques convictions ébauchées. « De la mesure comme règle d’or, des limites à définir ensemble, partout. Préserver, partager, réduire, renoncer à quelques ambitions. Résoudre la crise écologique et la pauvreté ensemble. Engager la révolution des esprits… Et que les politiques aient enfin des ailes. » On peut trouver ça encore un peu court, mais Hulot n’est pas au bout de son chemin.

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