Un symptôme de la fragilisation du pouvoir »

Jean Garrigues, professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans*, explique en quoi les affaires sont le reflet d’une époque et analyse les raisons pour ­lesquelles elles explosent

Michel Soudais  • 8 juillet 2010 abonné·es

Politis : Certains pronostiquaient la fin des « affaires ». Finalement, elles n’ont jamais cessé…

Jean Garrigues : Il faut garder en tête que la communication au plus grand nombre d’une affaire est, au fond, un signe de bonne santé de la démocratie. L’explosion des affaires depuis la fin du XXe siècle est aussi le signe que l’on vit dans une démocratie qui essaye de corriger ses dysfonctionnements. C’est le côté positif de la chose. Derrière les affaires et les scandales, il y a toujours une volonté, qui peut avoir un effet thérapeutique.

L’effet négatif, tout de même, c’est l’impression de revivre les mêmes dérives depuis cent trente ans. Les cas de figure se reproduisent-ils ?

Sur le temps long, on constate une sorte d’évolution chronologique des affaires. Reflet d’une société à un moment donné, elles sont différentes selon les époques. Les grandes affaires du début de la IIIe République concernaient essentiellement la corruption. Celle-ci a globalement disparu à partir de l’entre-deux-guerres. Les affaires des septennats Mitterrand concernaient surtout le financement des partis politiques ; « l’américanisation » de la vie politique avait rendu le besoin d’argent plus fort qu’auparavant. Aujourd’hui, les affaires touchent à la place de l’argent dans notre société et au rapport que les responsables politiques entretiennent avec l’argent. Dans une période de crise économique et sociale profonde, la place que l’argent occupe auprès des élites est un enjeu d’autant plus crucial que la majorité des gens en manquent. D’où la focalisation sur des abus de pouvoir – les cigares de Christian Blanc, par exemple – ou des conflits d’intérêt entre le monde financier et le monde politique – c’est le cas de l’affaire Woerth. Dans une société où la pratique du pouvoir reste autocratique et monarchique, le rapport du pouvoir à l’argent est un rapport d’impunité et d’abus de pouvoir, notamment concernant l’argent public. Le parcours personnel de Nicolas Sarkozy, qui, ne l’oublions pas, est un avocat d’affaires, est révélateur de ça. Chez nous, la collusion entre le pouvoir et l’argent n’est pas encore taboue comme dans les pays anglo-saxons ou d’Europe du Nord. Dans une société en crise, cela ne passe plus.

La chronologie des scandales nous renseigne-t-elle aussi sur
l’état du pouvoir ?

Oui. Mais également sur le calendrier politique. Quand une affaire éclate, il faut se demander : « Pourquoi en ce moment ? »
Les affaires se sont multipliées depuis les élections régionales,
très défavorables à la majorité.

Est-ce le symptôme d’un pouvoir affaibli ?

Deux facteurs peuvent être déclencheurs de scandales. D’une part, la proximité d’une échéance électorale ; je crois d’ailleurs qu’on verra sortir d’autres choses à l’approche de la présidentielle. Et d’autre part, comme actuellement, la fragilisation du pouvoir, dans une conjoncture de réveil des contre-pouvoirs, notamment syndical, qui peut permettre à ces derniers de pointer des dysfonctionnements. Cela ne relève pas seulement de la tactique politique, mais aussi de la représentation symbolique du politique. C’est le moment où des dérives qui ont toujours existé, parce qu’inhérentes à une certaine conception du pouvoir, paraissent inacceptables.

Au fond, est-ce que l’opinion accepte que les politiques se servent quand ils font bien leur boulot ?

Il y a une tolérance très française vis-à-vis des petites dérives, s’agissant de pratiques que l’on retrouve aussi bien dans le privé que dans l’administration. En revanche, cette tolérance ne peut fonctionner vis-à-vis d’un pouvoir défaillant. À l’époque des Trente Glorieuses, très peu de scandales sont sortis sous la présidence du général de Gaulle. On était dans une société qui donnait l’impression de fonctionner ; et le contrôle de l’information était plus fort. Mais, face à un pouvoir politique perçu comme impuissant, le mécontentement crée un effet explosif.

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