Dans l’atelier Foucault

Un ouvrage collectif donne à voir les multiples facettes du philosophe au travail.

Olivier Doubre  • 12 mai 2011 abonné·es

Plus de vingt-cinq ans après la brusque disparition – due au sida – de Michel Foucault, les exigeants Cahiers de l’Herne consacrent aujourd’hui à celui qui fut l’un des plus importants philosophes de la seconde moitié du XXe siècle un opus de leur collection. D’emblée, on se surprend à s’interroger : un tel Cahier n’avait jamais été réalisé auparavant ? Non. Cette parution s’inscrit en fait dans l’évolution de cette prestigieuse série de « grandes ­monographies critiques » , dédiée principalement, à l’origine, aux auteurs de littérature, et qui s’est élargie par la suite à des figures des sciences sociales contemporaines. Les meilleurs (à la fois les plus dynamiques et sans doute parmi les moins académiques) des spécialistes de l’auteur de la Volonté de savoir (Philippe Artières, Jean-François Bert, Frédéric Gros, Pascal Michon, Mathieu Potte-Bonneville, Judith Revel…) ont été réunis pour ce numéro.

Outre de passionnants entretiens avec des personnalités ayant croisé Michel Foucault, travaillé, milité ou simplement été ami avec lui, et des contributions plus analytiques sur de nombreuses facettes du travail du philosophe, le volume est d’abord construit autour de « l’archive du travail foucaldien » . Archive d’une pensée vivante, diverse, multiforme. Archive de « l’atelier » Foucault, d’une recherche en train de se faire, qui permet de « comprendre la manière dont [il] articulait la lecture et l’écriture, travaillait en bibliothèque, rédigeait certains de ses livres, effectuait ses recherches seul ou en équipe, reprenait des travaux antérieurs, lançait des projets de recherche, etc. » .
Les auteurs de ce Cahier , à travers la reproduction de manuscrits ou tapuscrits la plupart inédits, s’essaient donc essentiellement à ­présenter un « Foucault au travail », intervenant sans cesse aussi dans « l’actualité de son temps » , à partir duquel ils parviennent à « construire une posture philosophique nouvelle, surprenante, délibérément décalée » du philosophe.

Projet collectif ambitieux mais parachevé avec brio. On voit ainsi, d’un côté, combien ces « traces » , « véritable creuset de la pensée foucaldienne » , renseignent aussi sur les « conditions matérielles, chronologiques, spatiales et institutionnelles de la production du travail philosophique » , mais aussi, de l’autre, grâce à un « second massif d’archives » (forcément limité), fait « des usagers » de la pensée de Michel Foucault, comment ceux-ci, « loin du commentaire, de l’hommage ou de l’hagiographie » , continuent « à faire expérience à travers Foucault » .

Expériences multiples, théoriques ou non, académiques et non académiques, littéraires, artistiques, militantes, qui sont autant de signes de cet indéniable « effet-Foucault » , dont ce Cahier souhaite également « esquisser la cartographie provisoire » . C’est finalement un « Foucault vivant » qui se dessine au fil des pages du volume, mais sans doute davantage encore un Foucault multiple, à travers certains textes écrits à des périodes différentes de sa vie (reproduits en fac-similés dans de nombreux cas) et, surtout, à travers les différents usages de son travail, qui finissent même par remettre en question cette « posture philosophique » si particulière qui est la sienne, sans cesse « redéfinie en fonction des urgences et des soubresauts du monde, en fonction des exigences de la pensée » .

Idées
Temps de lecture : 3 minutes