La cyberguerre de Microsoft en Tunisie

Des câbles diplomatiques divulgués par Wikileaks attestent d’un accord en 2006 entre la firme américaine et l’ancien régime tunisien, visant à aider celui-ci à contrôler Internet et à piéger ses opposants.

Julien Covello  • 15 septembre 2011 abonné·es
La cyberguerre de Microsoft en Tunisie
© Photo : AFP / HO / PRESIDENTIAL PRESS SERVICE

Microsoft a-t-il aidé le régime de Ben Ali dans son entreprise de contrôle d’Internet ? C’est ce que laissent entendre des câbles diplomatiques datant d’une période entre 2006 et 2010, rendus publics par Wikileaks le 30 août dernier et dénichés par le site reflets.info.


Dans une note du 22 septembre 2006, l’ambassadeur américain à Tunis évoque un accord entre la firme de Bill Gates et les autorités tunisiennes conclu en juillet en Afrique du Sud. L’auteur, Robert Godec, fait part de « la réticence de Microsoft à dévoiler les détails de l’accord » et de son inquiétude : « Étant donné la forte propension du gouvernement à interférer avec Internet, la question est posée de savoir si cela ne va pas accroître la capacité du gouvernement à contrôler ses citoyens. » Et de conclure : « Finalement, pour Microsoft, les bénéfices priment sur les coûts. »


L’ambassadeur prend soin de noter que « l’accord touche également à la sécurité sur Internet » et que, « au travers d’un programme sur la cybercriminalité, Microsoft formera des personnels gouvernementaux au sein des ministères de la Justice et de l’Intérieur sur la façon d’utiliser l’informatique et Internet pour lutter contre le crime ». 
Pour Fabrice Epelboin, de Reflets.info, ces fuites viennent éclairer les événements étranges repérés sur l’Internet tunisien depuis que le blogueur Slim Amamou avait alerté, en juin 2010, sur une gigantesque campagne de « phishing » des autorités tunisiennes visant à dérober les mots de passe Gmail, Facebook ou Twitter de centaines d’internautes pour accéder à leurs communications électroniques.


Pour ce spécialiste, qui a publié le contrat en question, Microsoft aurait accepté d’intégrer les certificats d’authentification émanant de l’autorité tunisienne dans les mises à jour de son navigateur, Internet Explorer. Les fausses pages apparaissaient comme authentiques, les utilisateurs étaient piégés.
Un autre câble, du 21 septembre 2007, donne un éclairage sur les objectifs du régime : imposer « que toutes les clés de chiffrement soient fournies à l’autorité de certification nationale ». Une exigence « qui entraîne généralement un refus catégorique de la part les compagnies américaines fournissant des services dans lesquels la protection des données fiscales ou personnelles est importante ». 
Apparemment pas rédhibitoire pour Microsoft, qui, en échange de ses services, obtint notamment un plan de lutte contre les logiciels libres, très bien implantés en Tunisie avant 2006, grâce à une politique du gouvernement qui favorisait l’emploi local.


Un autre câble Wikileaks datant du 19 juillet 2006 précise : « Les appels d’offres futurs sur du matériel informatique spécifieront que l’équipement doit être compatible Microsoft. Un programme de formation pour éduquer le public sur la nécessité d’utiliser des logiciels légaux sera également mis en place. » Microsoft a toujours pris soin de rester incompatible avec les logiciels libres, et continue de les considérer dans sa communication comme « illégaux ».
Une cyberguerre contre les logiciels libres qui aura probablement fait des victimes collatérales : ces Tunisiens arrêtés pour s’être exprimés sur Internet.

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