La juste place des « ratés »

Le théâtre de Natacha de Pontcharra, trop méconnu, traite du sentiment d’inadaptation de l’individu.

Gilles Costaz  • 1 mars 2012 abonné·es

Natacha de Pontcharra est un auteur qui ne bénéficie pas pleinement des trompettes de la renommée. Sa pièce Mickey la Torche , histoire d’un vigile qui passe son temps libre à traquer les secrets des autres et surtout ceux de sa ­voisine, est constamment reprise. Ses autres œuvres sont souvent à l’affiche. Elle a écrit une quinzaine de pièces, Bleu comme jamais le ciel , Dancing , Je m’appelle pas Shéhérazade , Portrait d’art … Pourtant, jusqu’alors, elle n’a intéressé ni les acteurs connus ni les grands théâtres. À présent, la compagnie Roquetta fait la création parisienne de ses Ratés (le titre jouant sur les mots « rats » et « ratés ») : on y voit des jumeaux nés avec une tête de rat mener des existences de déclassés.
Les acteurs Jean-Christophe Allais, Rainer Sievert et Jean-Paul Vigier donnent du texte une interprétation très troublante, dans une mise en scène de Fanny Malterre qui rend au plus juste cet humour étrange et tendre. Ils nous permettent de rencontrer un écrivain trop méconnu.

Quand on dit de vous que vous êtes un écrivain des bas-fonds de la société, êtes-vous d’accord avec cette étiquette ?

Natacha de Pontcharra : Pas vraiment. Avec l’Angélie, par exemple, j’ai écrit du théâtre onirique. Mais, même dans des pièces qui ne parlent pas exactement du monde social, comme D’Isadora (autour de la danseuse Isadora Duncan), il y a une histoire de marginalité par rapport à la norme. En fait, les choses me viennent instinctivement. Je m’aperçois que ce qui revient souvent, c’est le problème de l’adaptation. Les personnages de mes pièces veulent trouver leur vraie place.
Je pars souvent d’un personnage. Je me demande d’où il vient et où il va. Je suis deux concepts : l’origine et le devenir. Mes personnages également. Ils cherchent le point d’où ils sont partis et le point où ils vont. Ils sont à la recherche d’une place où ils seraient certains d’être vivants.

Vous étiez graphiste. Vous êtes devenue écrivain de théâtre. Comment êtes-vous passée de l’un à l’autre ?

J’étais graphiste, je peins toujours. Je suis toujours proche de l’image. Et je suis devenue scénariste car on adapte mes pièces dans des courts métrages. Au départ, ­j’écrivais des nouvelles et des poèmes. J’habitais Grenoble, où j’ai rencontré Lotfi Achourla, qui dirigeait le théâtre Le Rio. Nous avons eu le projet de travailler sur la « comédie indigène », le colonialisme, mais c’était trop vaste. Nous sommes passés à autre chose. J’ai écrit Œil de cyclone, l’histoire d’un homme aveugle qui se déplace sur des terrasses dans un pays arabe et tombe amoureux d’une femme dont il ne sait pas qu’elle l’a acheté. J’ai reçu à Lyon le prix des auteurs décerné par le théâtre des Célestins.

J’ai abandonné le graphisme et travaillé plusieurs années avec Lotfi Achourla. J’aime travailler à partir d’acteurs. C’est plus facile d’avoir avec soi des personnages. Par ailleurs, cela a résolu le ­problème que j’avais avec ­l’écriture. L’écriture m’apportait beaucoup, me fascinait mais représentait un enfermement, une mise à distance. Le côté « groupe » m’a beaucoup enrichie. Avec le théâtre, on peut écrire sans devenir fou !

Comment avez-vous écrit les Ratés et que pensez-vous du spectacle de la compagnie Roquetta donné à la Comédie-Nation ?

C’est un texte que j’avais écrit pour les comédiens de Grenoble, que j’ai développé et qui renaît parce qu’il a été publié récemment par Quartett. J’ai été très touchée par le spectacle de la compagnie Roquetta. Ils ont vraiment réinventé un deuxième langage. C’est remarquable dans les échanges, les regards, les petits détails. Ils ont donné une belle dimension au père, qui était plus cassant dans mon texte. Ils ont su exprimer de l’humour sans agression. C’est très fort. C’est plus facile de faire rire par la méchanceté. Il y a tellement de bonnes compagnies, de grands acteurs, comme eux, qui ne sont pas assez reconnus !

Vos pièces sont éditées, jouées, régulièrement. Vous êtes parfois
aidée par les organismes qui accordent des subventions. Mais vous n’êtes jamais à l’affiche des grandes institutions – sauf le Théâtre de l’Est parisien quand il existait et était dirigé
par Catherine Anne.

C’est vrai, je leur envoie mes pièces mais elles ne sont montées que par les petites compagnies indépendantes. Toutefois, les belles choses sont là où elles sont, ce n’est pas une question de dimension.
Sans doute cette indifférence est-elle liée à mon propre enfermement. Mon écriture n’arrive pas à se montrer ! Et cela devient de plus en plus difficile. Mon propre instinct est de trouver des gens qui s’intéressent à mes textes et les mènent plus loin que l’écriture.

À quoi travaillez-vous ?

Je reviens actuellement à l’écriture de nouvelles, mais, comme ce sont de petits monologues, des artistes de ces compagnies indépendantes dont je parlais me disent qu’ils souhaitent les monter.
Je suis surtout dans un moment où je ressens des doutes sur les grandes fictions. Malgré des aides, ma dernière pièce, le Monde de Mars, n’a pu être montée. Ça m’a coupé le désir. Je n’ai plus envie d’écrire une histoire. Pourquoi écrire pour des plateaux et des décors que nous n’aurons jamais ?

J’aime le travail que je réalise avec la Coopérative des auteurs, dont Fabrice Melquiot et d’autres auteurs ont eu l’initiative : nous organisons des lectures et des « bals littéraires » pour lesquels chacun écrit des textes. C’est une nouvelle façon de vivre de son écriture et de la donner, d’être vu et entendu.

Théâtre
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