Le prosateur et le penseur

Sébastien Fontenelle  • 26 avril 2012 abonné·es

Dans un livre paru en 2000, un raffinécrivain se laisse aller à considérer qu’à son avis « les collaborateurs juifs du « Panorama » de France Culture exagèrent un peu tout de même » – non mais sans blague, où se croient ces gens ? Car, en effet, explique-t-il : « Ils sont à peu près quatre sur cinq à chaque émission, ou quatre sur six, ou cinq sur sept, ce qui, sur un poste national ou presque officiel, constitue une nette surreprésentation d’un groupe ethnique ou religieux donné. »

Ce délicat glossateur narre donc là (mais sans toutefois préciser par quel(s) astucieux procédé(s) il les a identifiés comme tels) qu’il a pris le temps de compter, dans une tranche horaire donnée, les « collaborateurs juifs » d’un « poste national ». (Il convient d’y insister avec un peu d’insistance, car ces comportements sont, quand on y réfléchit, assez rares.) Et il les a trouvés, à l’issue de cet original exercice, un peu trop nombreux à son goût – ou, plus précisément, mais cela revient à peu près au même, « en nette surreprésentation ».

Comme ces considérations suscitent de l’émotion, un renommé philosophe se porte au prompt secours du compteur de « Juifs », et concède que l’intéressé peut, des fois, se montrer un peu désinvolte dans la formulation de certains de ses avis – comme par exemple quand il déplore que « l’expérience française » ait « pour principaux porte-parole et organes d’expression une majorité de Juifs, Français de première ou de seconde génération bien souvent, qui ne participent pas de cette expérience » – mais que, pour autant, il n’est pas du tout xénophobe, voyons : il a juste fait « le pari dangereux mais légitime de s’interroger, la plume à la main, sur lui-même comme sur le monde, sans précaution ni censure ».

Par conséquent : les bien-pensant(e)s qui jugent sa prose incommodante combattent « un racisme largement imaginaire ».
Fort, peut-être, du soutien de son philosophique supporteur, l’écrivain continue ensuite, dans le fil des années, de « s’interroger sur le monde » en tout iconoclasme – et cela lui fera par exemple déplorer que les « antiracististes », comme il les appelle joliment, s’interdisent de nommer certaines banlieues françaises pour ce qu’elles sont, d’après lui : des « territoires négro-musulmans ».

Mais, toujours, le philosophe lui maintient son estime, et continue de l’inviter sur le « poste national » où il anime, toutes les semaines, une émission où se portent haut les oriflammes du mal-pensisme – attends, on va pas se laisser intimider par la police de la pensée, hein, René ?

Et finalement : l’écrivain pas du tout phobique – Renaud Camus – vient d’appeler à voter pour la Pen, qui saura, jure-t-il, « faire barrage au changement de peuple » et « refuser fermement la poursuite de l’immigration ».

Et quant au philosophe – Alain Finkielkraut –, il n’a encore rien dit de ce courageux engagement, mais on attend son commentaire avec une certaine impatience.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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