Québec : Renvoyés à leurs chères études

Malgré trois mois d’un conflit violent, le gouvernement refuse d’entendre les revendications des étudiants. Par Jean-Rémi Carbonneau, Mélissa Desrochers et Marc-André Marquis.

Jean-Rémi Carbonneau  et  Mélissa Desrochers  et  Marc-André Marquis  • 31 mai 2012 abonné·es

Le Premier ministre du Québec, Jean Charest, annonçait dans son budget de mars 2011 une nouvelle hausse de 75 % des frais de scolarité (1 230 euros), répartie sur cinq ans, faisant suite à celle de 30 % imposée de 2007 à 2011. Chantant sans relâche la litanie de la « juste part », le gouvernement libéral privilégie plutôt le renforcement d’un modèle néolibéral de gestion de l’éducation supérieure qui valorise la compétition entre les universités, le concept d’utilisateur-payeur (l’éducation comme une marchandise), ainsi qu’un désengagement de l’État au profit d’un accroissement du financement privé, en échange d’un réalignement de la mission universitaire sur les besoins des entreprises privées.

En opposition à ce modèle, les étudiants des Cegep (Collèges d’enseignement général et professionnel) et des universités québécoises ont déclenché une grève générale le 13 février 2012. Depuis, les grévistes, représentés par quatre fédérations [^2], multiplient les actions militantes et artistiques, les manifestations pacifiques, les blocages économiques et la désobéissance civile afin de se faire entendre. Il s’agit du plus important et long mouvement de grève étudiante de l’histoire du Québec. À son apogée, le 22 mars, plus de 300 000 étudiants étaient en grève sur une population étudiante de 400 000 personnes.

Malgré trois mois de grève, une forte pression sociale et une grande manifestation réunissant plus de 200 000 personnes le 22 mars, le gouvernement formé par le Parti libéral du Québec (PLQ) maintient la ligne dure. Plusieurs groupes de citoyens réclament un moratoire sur la hausse des frais de scolarité afin d’apaiser la crise sociale actuelle. Les étudiants demandent aussi la tenue d’états généraux sur l’enseignement supérieur pour discuter collectivement du modèle universitaire à développer, car ils sont convaincus de la mauvaise gestion des universités. Ils proposent aussi une réforme des mesures fiscales, plus contraignantes envers les entreprises – qui bénéficient actuellement de subventions et de crédits d’impôt importants – ainsi qu’envers les contribuables les plus fortunés.

Le PLQ, imperturbable, refuse ces propositions de manière obstinée. Il considère que l’endettement étudiant est un investissement personnel que les individus doivent faire pour assurer leur avenir, alors que les étudiants estiment que le financement de l’éducation est un choix collectif et un investissement pour l’ensemble de la société. Le débat idéologique souhaité par les étudiants n’a toujours pas eu lieu, et ces positions reflètent bien le clivage entre la droite et la gauche qui secoue actuellement le Québec.

Depuis le début du conflit, le gouvernement libéral a mis de nombreuses conditions et usé de multiples stratégies pour diviser les fédérations étudiantes, passant de la délégitimation des étudiants à la criminalisation du mouvement.

Cohérente avec la rhétorique marchande du néolibéralisme, la ministre de l’Éducation, Line Beauchamp, a dès le début qualifié le mouvement étudiant de « boycott », niant son caractère collectif et social. Elle a aussi répété que les étudiants paient des « droits » de scolarité et non des frais. Cette instrumentalisation du langage a été réitérée tout au long du conflit dans les discours officiels, et diffusée sans relâche sur les réseaux d’information continue, pour être finalement assimilée par divers intervenants politiques et médiatiques.

Ce débat sémantique s’est ensuite déplacé vers le concept de violence. Le gouvernement a systématiquement refusé de condamner la violence policière envers les personnes physiques, et continue à se scandaliser de la violence envers le mobilier urbain.

En ignorant les revendications des grévistes, le gouvernement a laissé pourrir la situation jusqu’à ce que le conflit s’envenime et que certaines manifestations se radicalisent.

Ce conflit rappelle l’embourbement du PLQ dans de nombreux autres dossiers (Plan Nord, gaz de schiste, privatisation d’un parc national, conversion de prêts étudiants en bourses, nombreux départs de membres du cabinet vers le privé). Le gouvernement libéral a dû reculer à la suite de pressions populaires dans ­plusieurs de ces dossiers.

Constatant l’impasse, Line Beauchamp, qui était aussi vice-Première ministre, a démissionné le 14 mai, aussitôt remplacée par l’ancienne ministre de l’Éducation Michelle Courchesne, qui a promis de rouvrir le dialogue avec les étudiants. Mais, le 17 mai, le PLQ annonçait qu’il déposerait une loi spéciale pour mettre fin au conflit et suspendait le semestre jusqu’en août. Malgré les vives oppositions d’élus et de groupes de professionnels (juristes, syndicats, fédération des enseignants, organismes communautaires), Jean Charest a décidé d’en finir avec la démocratie étudiante le 18 mai en faisant adopter le projet de loi 78.

Dénoncée par Amnesty International et le barreau du Québec, cette loi contredit la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Elle interdit strictement toute forme d’ « action concertée » de contestation de ses dispositions, sous peine d’amendes très salées (5 000 à 27 000 euros pour les individus, et 19 000 à 97 000 euros pour les institutions).

La liberté d’association est aussi entravée, et la survie même des organisations étudiantes est menacée, dans la mesure où le gouvernement peut forcer une université à cesser de percevoir les cotisations des associations étudiantes fautives et les priver de locaux, de mobiliers et de matériel.

Les fédérations étudiantes ont annoncé leur volonté d’intenter une poursuite en nullité, et plus de 500 avocats ont offert leurs services gratuitement. Cette loi constitue un net recul des acquis sociaux et démocratiques du Québec, conquis au cours des soixante dernières années. Le 22 mai, plus de 300 000 personnes ont pris la rue pour dénoncer le mépris du gouvernement et cette loi spéciale. Après cent jours de grève, le mouvement ne semble pas près de s’essouffler malgré la répression grandissante.

[^2]: La Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (Classe), la Fédération étudiante universitaire du Québec (Feuq), la Fédération étudiante collégiale du Québec(Fecq) et la Table de concertation étudiante du Québec (Taceq).

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