Prisons : Rétention de formation

Alors que la loi pénitentiaire énonce le droit d’une « activité » pour les détenus, l’apprentissage professionnel piétine.

Clémence Glon  • 26 juillet 2012 abonné·es

Lors de l’inauguration du centre pénitentiaire du Havre en août 2010, Michèle Alliot-Marie, alors garde des Sceaux, faisait de celui-ci un « modèle de modernité ». Mais ses 690 places, ses 32 000 m2 et ses quatre unités de vie familiale masquent difficilement le manque de locaux destinés aux ateliers des détenus. Des salles de classe adaptées aux formations professionnelles n’ont pas été prévues.

La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 inscrivait pourtant « l’activité » en prison comme une obligation, respectant – grossièrement – les règles édictées par le Conseil de l’Europe. L’antienne de la réinsertion fait de la formation professionnelle un droit. Mais, par son manque de précision, le terme « activité » employé dans le texte législatif n’a pas encouragé les politiques à mettre en œuvre des mesures concrètes. En 2010, 87 % des entrants en milieu carcéral étaient sans diplômes ou titulaires d’une certification inférieure au baccalauréat, et seuls 8,5 % des détenus ont suivi une formation. Aucune étude ne permet de connaître les souhaits des détenus en la matière et de juger du pourcentage d’attentes déçues. Au début du mois de juillet, la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat a dressé un bilan critique de l’application de la loi de 2009 : « La question de la formation professionnelle a très peu avancé. Pourtant, personne ne conteste sa nécessité. »

Une chose est sûre, l’administration pénitentiaire ne peut répondre positivement à toutes les demandes. « Les détenus peuvent attendre de six mois à un an avant d’obtenir la formation demandée, constate Georgia Bechlivanou-Moreau, docteure en droit et consultante pour l’association Ban public. Les personnes qui purgent des courtes peines en sont exclues. »

Si le lieu d’incarcération n’est pas toujours, notamment dans le cas des établissements anciens, propice à la mise en place de formations professionnelles, le premier obstacle demeure le manque de crédits alloués par le ministère de l’Emploi. Mis à part Strasbourg et Dijon, l’ensemble des directions interrégionales de services pénitentiaires (DISP), qui mettent en place ces apprentissages, ont vu leur enveloppe diminuer en 2010. « Ces formations réclament des machines et des outils qui coûtent très cher », explique Christian Frin, proviseur de l’unité pédagogique interrégionale (UPR) du Grand Ouest.

Par ailleurs, le développement du partenariat public-privé dans la gestion des prisons a creusé les dépenses. Dans certains établissements, les cours sont confiés à des entreprises privées. Une heure de formation déléguée revient deux fois plus cher qu’une heure en gestion publique. « Notre rapport préconise que la formation soit dévolue aux Régions, quel que soit le statut de l’établissement », poursuit la sénatrice.

Derrière les murs, les formations les plus suivies sont celles du BTP, de la restauration et du nettoyage. Les cantines et l’entretien des locaux permettent de passer de la théorie à la pratique. Entre les remises à niveau, les formations préqualifiantes nécessaires pour accéder à un diplôme et la préparation à la sortie (en partenariat avec Pôle emploi), une part mineure des prisonniers touchent une rémunération liée à l’apprentissage. « La moitié des détenus sont indigents », souligne la sénatrice. Ils se tournent vers des petits boulots sans qualification et mal rémunérés, mais qui rapportent davantage que les stages proposés en prison. Le choix d’une formation représente alors un réel sacrifice financier.

La garde des Sceaux, Christiane Taubira, a montré de l’intérêt pour le rapport du Sénat. « Il y a des choses à faire bouger, notamment sur les moyens accordés par l’État », veut croire Nicole Borvo Cohen-Seat. L’aménagement de peine, qui permet aux détenus de suivre des cours à l’extérieur, facilite les formations qualifiantes. Une voie vers laquelle s’oriente Christiane Taubira, tandis que les prisons enregistrent des records de population.

Société Police / Justice
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Commission d’enquête Bétharram : « L’État a cassé et sali des enfants par milliers » 
Interview 2 juillet 2025 abonné·es

Commission d’enquête Bétharram : « L’État a cassé et sali des enfants par milliers » 

Le rapport d’enquête sur les violences commises au sein des établissements scolaires réalisé à la suite du scandale de Notre-Dame-de-Betharram a été rendu public, ce mercredi. Politis a demandé à Claire Bourdille, fondatrice du Collectif Enfantiste, de réagir à cette publication.
Par Élise Leclercq
« Noire, musulmane, fille d’ouvriers : c’est de là que j’ai écrit un dictionnaire du féminisme »
La Midinale 2 juillet 2025

« Noire, musulmane, fille d’ouvriers : c’est de là que j’ai écrit un dictionnaire du féminisme »

Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice et autrice du Dictionnaire amoureux du féminisme aux éditions Plon, est l’invitée de « La Midinale ».
Par Pablo Pillaud-Vivien
Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »
Justice 1 juillet 2025 abonné·es

Snipers franco-israéliens : « Ce qui est effarant, c’est qu’ils revendiquent leurs crimes de guerre à Gaza »

Deux soldats franco-israéliens sont visés par une plainte de plusieurs ONG, déposée ce 1er juillet à Paris, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis à Gaza. Ils sont accusés d’avoir participé à des exécutions sommaires au sein d’une unité baptisée Ghost Unit.
Par Maxime Sirvins
Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes
Terrorisme 28 juin 2025

Procès AFO : quand la « peur de la guerre civile » justifie les projets d’actions racistes

De l’instruction à la barre, les 16 prévenus ont constamment invoqué la crainte de la guerre civile qui les a poussés à rejoindre le groupe. Ils ont brandi cette obsession, propre à l’extrême droite, pour justifier les projets d’actions violentes contre les musulmans.
Par Pauline Migevant