Qu’a donc fait Hadj Smaïn pour être jeté en prison ?

abdelkader B.  • 5 juillet 2012 abonné·es

Alors que l’Algérie s’apprête à célébrer et à fêter le 50e anniversaire de l’indépendance, un militant des droits de l’homme, Hadj Smaïn, vient d’être jeté en prison pour être resté fidèle aux idéaux des martyrs de la révolution et pour le combat qu’il mène aux côtés et avec les victimes de la décennie rouge [^2], les familles des disparus, contre l’arbitraire, l’injustice, et les multiples et récurrentes atteintes à l’intégrité physique et morale, ainsi qu’à la dignité de la personne humaine. Mais qu’a donc fait Hadj Smaïn de si grave pour que la justice s’acharne sur lui comme sur un vulgaire délinquant malgré son âge et son état de santé précaire ? Ce militant très courageux des droits de l’homme est responsable de la section de la Ligue des droits de l’homme en Algérie (LADDH) à Relizane, ville devenue tristement célèbre durant la décennie rouge en raison de la violence inouïe exercée contre la population, soit par les groupes islamiques armés, soit par des milices sous le contrôle de véritables seigneurs de guerre.

Le chef du gouvernement actuel a lui-même reconnu que le plus grand massacre collectif a eu lieu dans cette wilaya ; il a donné le chiffre effrayant de mille personnes tuées en décembre 1997, soit nettement plus que ce qui s’est produit de sinistre mémoire à Bentalha et à Raïs dans la banlieue d’Alger. Relizane est également connue pour le combat sans merci que se sont livrés Hadj Smaïn et Hadj Fergane, alors que ce dernier était maire de la ville et responsable des patriotes ou de groupes dits de légitime défense. Affrontement emblématique de l’opposition entre ceux pour qui l’impératif de sauvetage du pays menacé par les groupes islamiques armés autorisait tous les moyens et justifiait toutes les formes de dépassement, et ceux qui estiment que le contexte de chaos ne saurait excuser les atteintes graves aux droits fondamentaux de la personne humaine. Crime de lèse-majesté, Hadj Smaïn a eu l’audace et l’impudence de localiser et de signaler l’existence d’un charnier (qui a été déplacé par la suite vers un lieu inconnu), ce qui lui a valu des poursuites judiciaires et une plainte pour « diffamation », « outrage » et « dénonciation de crime imaginaire », par Hadj Fergane. La presse, notamment le Quotidien d’Oran, a relaté les péripéties de cette affaire. Hadj Fergane, ainsi que le maire de la commune de Jdioui, Hadj Abed, et d’autres miliciens ont été arrêtés et relâchés trois jours après malgré leur inculpation pour crimes graves. Leur procès n’a toujours pas eu lieu à ce jour.

S’il fallait donner une preuve, une seule, de l’inanité de la démarche officielle portant paix et réconciliation nationale, le traitement réservé à cette figure emblématique de la lutte pour le respect de la personne humaine qu’est Hadj Smaïn en est une illustration parfaite. Hadj Smaïn en prison, c’est assurément une manière fort singulière d’instaurer la paix et la réconciliation. C’est la paix version des puissants, telle que conçue par les bourreaux au détriment des victimes. Le pouvoir vient de nous administrer la preuve que les puissants sont exonérés de leurs turpitudes et que des peines sont infligées aux victimes, pour leur vulnérabilité et surtout leur innocence.

L’emprisonnement de Hadj Smaïn n’est pas un cas isolé, il participe d’un climat général et d’une tendance lourde inhérents à un système fondé sur l’autoritarisme et le non-respect des droits humains, et obnubilé par sa survie. La peur panique qui s’est emparée du pouvoir face aux bouleversements que connaît la région le pousse à user et à abuser de tous les moyens en sa possession pour mettre au pas la société et freiner son aspiration au changement. Les autorités n’hésitent pas à bâillonner toute voix discordante et à réprimer tous ceux qui osent réclamer la justice et leurs droits, tous ceux qui contestent sa politique et qui œuvrent pour l’édification d’un État de droit.

Dans les enceintes internationales, le pouvoir donne de lui une image idyllique, notamment à l’occasion de l’examen périodique universel consacré à la situation des droits de l’homme en Algérie. Jusqu’à quand ce déni de réalité et jusqu’à quand ce décalage entre les proclamations, les déclarations, les discours et les réalités et les pratiques de tous les jours, marquées et caractérisées par les atteintes aux droits fondamentaux, droit à l’expression, droit à l’association, droit à la manifestation… La libération immédiate et urgente de Hadj Smaïn est certainement le meilleur gage que peuvent donner les autorités algériennes, et à leur tête les instances judiciaires, quand à leur volonté de se conformer à leurs engagements internationaux en matière de droit civil et politique.

[^2]: Durant les années 1990-2000, la guerre civile algérienne a provoqué la mort de 150 000 personnes et fait 4 000 disparus.

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