Faut-il autoriser l’abattage du loup ?

Bien que l’on ne compte guère plus de deux cents individus en France, le loup fait l’objet d’affrontements entre écologistes et éleveurs. Pour Pierre Athanaze, il n’est qu’un bouc émissaire. Pour José Bové, tirer sur l’animal est un réflexe d’autodéfense de l’éleveur.

Olivier Doubre  • 27 septembre 2012 abonné·es

Illustration - Faut-il autoriser l’abattage du loup ?

La filière ovine est en crise depuis 1986, à la suite de la dramatique affaire du Rainbow Warrior, le bateau de Greenpeace, qui a fait un mort à Auckland. Afin de faire libérer « nos » espions, la France et la Nouvelle-Zélande ont ratifié trois accords qui, tacitement, ont ouvert les frontières françaises à des importations massives de moutons néo-zélandais. D’où une chute durable des cours du mouton et une grave crise financière chez les moutonniers.

Nous sommes là très loin de nos vertes estives et de nos bergeries françaises. Et plus encore du loup. Pourtant, c’est bien lui, et lui seul, le bouc émissaire des organisations syndicales agricoles et du personnel politique de gauche et de droite, qui trouvent plus « communiquant » de crier au loup que de s’atteler aux causes mêmes d’une crise qui touche tous les départements, et pas uniquement ceux où le loup est présent.

Ainsi, Rachida Dati troque quelques jours par an ses toilettes Prada contre un jean et un polo pour réclamer la peau du loup, du haut de quelques estives alpines. Mais le fleuron de la démagogie politique revient sans conteste à José Bové, qui s’est pourtant fait élire sur une liste Europe Écologie-Les Verts par un électorat particulièrement sensible aux enjeux de la biodiversité. José Bové revendique carrément le braconnage !

L’ex-porte-parole de la Confédération paysanne a d’ailleurs été félicité par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), heureuse de voir le médiatique moustachu rallier si clairement ses thèses [^2]. Bové solidaire de Dati et de la FNSEA contre la nature, quelle déception !

Encouragés par ces débordements, les anti-loups n’ont plus de limite, sans parler des violences verbales et physiques à l’encontre des gardes, représentants de l’État [^3]. Ainsi, les éleveurs du causse Méjean (34 000 hectares) demandent carrément l’élimination des loups de l’intégralité du département de la Lozère (516 700 hectares), alors qu’un seul animal a été aperçu dans ce département, au -printemps 2012 ! En oubliant juste que, depuis des années, des chiens errants causent de gros dégâts aux troupeaux.

Du coup, les préfets ont l’arrêté facile. Rien que pour cette année, on compte déjà 124 arrêtés préfectoraux de tirs de loups en France, alors qu’on ne totalise qu’entre 150 et 200 canidés sur le territoire national. Jamais le tir d’un loup n’a été la solution : l’élimination d’un individu déstructure bien souvent une meute, qui se rabat sur les proies les plus faciles pour se nourrir, les moutons. La seule solution pérenne passe par la protection des troupeaux. Comme cela se passe chez nos voisins italiens ou espagnols. Comme l’ont fait de nombreux éleveurs et bergers alpins moins médiatisés que leurs collègues anti-loups ; avec de très bons résultats.

Crier au loup permet aussi de cacher pudiquement l’économie souterraine qui régit désormais une partie de la filière ovine, notamment dans le Sud, entre autres pour les fêtes musulmanes. Certains éleveurs détestent le loup non parce qu’il peut croquer une brebis, mais parce que les gardes qui viennent constater les dégâts peuvent découvrir des choses pas très claires.
Mais se pencher sur les vrais problèmes, c’est tellement moins démonstratif que de faire des déclarations populistes devant des micros…

Illustration - Faut-il autoriser l’abattage du loup ?

Lorsque je dis que, si je vois un loup s’approcher de mes brebis, je tire, je raisonne comme l’éleveur d’un troupeau de 150 bêtes que j’ai été pendant une quarantaine d’années. Je ne vois pas pourquoi je laisserais un loup s’attaquer à mon troupeau, à mon gagne-pain !

Je ne suis pas contre les loups, mais je suis d’abord paysan et éleveur. Je ne reproche à personne de vouloir sauver les loups, mais que l’on ne me reproche pas de vouloir sauver mes brebis : je suis dans la réalité, dans le vécu des gens, comme beaucoup d’écologistes raisonnables qui réfléchissent, pas dans la théorie accusatoire. Nous sommes dans cette situation particulière d’antagonisme, de conflit par rapport aux loups, parce que nous vivons une désertification qui s’accentue partout chaque année.

Je ne vais pas prétendre que certaines pratiques d’élevage ne sont pas critiquables. Si un éleveur laisse 500 ou 1 000 brebis gambader toutes seules dans la montagne et qu’il se contente -d’aller leur rendre visite de temps en temps, cela peut entraîner de gros risques. Mais le berger, dans un système qui ne nourrit plus son homme, est tout seul, il n’a pas de personnel.

La principale menace pesant sur le troupeau n’est pas tellement le loup mais le ministre de l’Agriculture – ou la politique agricole européenne, ce qui revient au même. L’élevage ovin est réduit à néant : dans le secteur agricole, cette activité a le plus mauvais revenu. Or, le loup représente un problème qui s’ajoute aux difficultés.

La diminution du nombre d’éleveurs et de la présence humaine dans la montagne entraîne un retour des animaux sauvages ; le loup, mais aussi le lynx, par exemple. Ce retour provoque des tensions dans de nombreuses régions, mais ces tensions ne constituent pas une nouveauté, elles ont été permanentes pendant des siècles dans l’histoire humaine des campagnes.

Les problèmes et les affrontements n’ont pas eu lieu que dans le Gévaudan, mais aussi dans le centre ou dans l’est de la France. La confrontation entre l’éleveur, le paysan, et les aléas du milieu naturel n’a jamais été simple, comme ne sont jamais simples les conflits sur un territoire. La volonté d’éliminer l’autre existe pour chacun. Et c’est normal : je n’élève pas des brebis pour nourrir le loup.

L’autre question est de savoir s’il est possible de parvenir à une nouvelle harmonie entre les concurrents que sont les hommes et certaines espèces sauvages occupant le même territoire. Répondre par l’affirmative, ce serait oublier la situation actuelle, à peu près semblable dans tous les pays européens : les territoires ruraux et agricoles ne sont plus constitués que d’espaces occupés et donc intégralement façonnés par l’homme. Nos montagnes ont été transformées par les hommes, qu’il s’agisse de la coupe des forêts, de l’agriculture ou de l’élevage. Elles ne sont même plus sauvages dans leurs parties les plus hautes puisque, pour les escalader, des hommes ont équipé des voies d’escalade avec des pitons, voire des échelles.

S’obstiner à croire en un espace naturel mythique ou idyllique, sans présence humaine, relève d’une grave erreur d’appréciation. Il faut renoncer à considérer la campagne comme un simple espace de jeu ou une agréable nature sauvage dans laquelle il ferait bon vivre. L’espace naturel du XXIe siècle n’a plus rien à voir avec celui du Moyen Âge, ne serait-ce que parce que nous sommes bien plus nombreux.

[^2]: 20 minutes , le 3 août 2012.

[^3]: Le 8 août 2012, trois agents du parc national du Mercantour ont été agressés à coups de manche de pioche par un éleveur qui les avait fait venir pour réaliser une expertise après une attaque de canidé.

Clivages
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