Une rentrée sous tensions multiples

Plusieurs dossiers épineux attendent le gouvernement après une courte trêve estivale : retraites, logement, rythmes scolaires, investissements écolos… Autant de pièges pour un exécutif qui déçoit son camp.

Ingrid Merckx  et  Thierry Brun  et  Patrick Piro  et  Michel Soudais  • 25 juillet 2013 abonné·es

La trêve estivale promet de n’être que de courte durée. Sitôt passé le 15 août, la politique reprendra vite, avec des universités d’été nombreuses cette année entre les 21 et 25 août, surtout à gauche. Le gouvernement n’aurait rien à en redouter si sa politique ne suscitait des déceptions, surtout dans son camp. En effet, avec une UMP financièrement affaiblie et divisée entre partisans de Jean-François Copé, qui réunira ses fidèles le 25 août à Chateaurenard, François Fillon, qui fera de même dans la Sarthe le 28 août, et « les amis de Nicolas Sarkozy », qui se rassembleront à Arcachon les 1er et 2 septembre, le danger pour l’exécutif vient moins de la droite que des critiques de la gauche sociale, écologique et politique. D’autant que ni les perspectives budgétaires ni les grands projets de loi programmés ne sont de nature à les atténuer. Au contraire.

L’alliance PS-EELV en question

Les écologistes d’EELV seront les premiers à s’exprimer lors de leurs traditionnelles journées d’été (21 au 24 août, à Marseille). Au programme, une réflexion sur la solidarité au sein de l’espace méditerranéen et l’avancée des révolutions arabes. La préparation des élections européennes du 25 mai 2014, scrutin où les écologistes réalisent leurs meilleurs résultats, sera aussi un des temps forts : comment retrouver la dynamique de 2009 sans la locomotive Cohn-Bendit, qui a pris congé d’EELV, en désaccord avec la ligne de la direction ? La mobilisation pour les municipales du printemps prochain sera aussi d’actualité. Les instances nationales se sont déjà prononcées (comme d’habitude) en faveur de listes autonomes au premier tour. Les écologistes laissent néanmoins aux groupes locaux la prérogative d’en décider. Déjà, dans la plupart des grandes villes, et à une large majorité, ceux-ci ont refusé les propositions socialistes de former des listes d’union au premier tour, pour aller au scrutin en autonomes. « Les militants ont exprimé une nette défiance envers le gouvernement, souligne Élise Lowy, porte-parole. C’est emblématique à Nantes, laboratoire de l’alliance PS-EELV et dont le maire était Jean-Marc Ayrault. » Mais le morceau de bravoure des journées d’été sera la « conférence de bilan » de l’alliance gouvernementale avec le PS. Les récentes annonces du Premier ministre sur les investissements d’avenir, « affectés à la transition écologique pour plus de la moitié », pèseront-ils suffisamment face aux déceptions, qui ont culminé avec le limogeage de la ministre de l’Écologie, Delphine Batho ? Les débats promettent d’être animés. Ces débats seront vraisemblablement un prélude au congrès qu’EELV tiendra à Caen le 30 novembre, et pour lequel les motions doivent être déposées avant le 7 octobre. Deux premiers textes circulent, lancés par l’entourage de Jean-Vincent Placé (« Boussole ») et le pôle de gauche du parti (« Indépendance cha-cha »). L’actuel secrétaire général, Pascal Durand, qui entend être candidat à sa succession, annonce aussi un texte de « large rassemblement », mais l’initiative ne semble pas encore mûre. « Des recompositions sont en cours, marquées par une forme de radicalisation, signale Élise Lowy. Si la participation aux responsabilités gouvernementales ne pose pas de problèmes aux militants sur le principe, la difficulté de se faire entendre du PS fait monter les frustrations ainsi que l’inquiétude de “couler avec le navire”. » Le récent et timide rapprochement avec le Parti de gauche pourrait renforcer la frange la plus radicale des écologistes, en ralliant notamment une partie du pôle environnementaliste.

Le Front de gauche et l’écueil des municipales

Neelie Kroes, commissaire européenne en charge du numérique, a annoncé qu’elle présentera en septembre un projet de règlement européen relatif au marché unique des télécommunications. Plusieurs associations de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet sont montées au créneau après la divulgation, en juillet, d’une version consolidée du projet. European Digital Rights (EDRi), à l’origine de la fuite, a mis le feu aux poudres chez les défenseurs de l’Internet libre. L’association, sise à Bruxelles, pointe l’article 20 du projet de règlement, accusé de discriminer les communications et donc de mettre fin à l’Internet libre et ouvert. « Après avoir affirmé le principe de neutralité du Net, le projet de règlement le vide de son sens », assure La Quadrature du Net, l’homologue française d’EDRi. Selon l’association, « les opérateurs télécoms seront libres d’imposer des limitations sur les volumes de données échangées » et libres de « passer des accords commerciaux afin d’offrir des conditions de trafics privilégiées aux grands services en ligne (au hasard, Google ou Facebook) ».
Ce n’est pas aux Estivales du Front de gauche (24 et 25 août à Grenoble) que la question sera tranchée, mais la stratégie à adopter aux municipales sera selon toute probabilité dans beaucoup de conversations. Cette pomme de discorde oppose principalement le PG au PCF. Le premier, soucieux d’afficher la différence du Front de gauche avec le PS souhaite constituer des listes anti-austérité autonomes du PS. Fin mars, lors de son congrès, il énumérait une soixantaine de grandes villes où de telles listes se feront. Au grand dam du PCF, qui, au prétexte de chercher les voies d’un « rassemblement à gauche le plus large possible » ou de « battre la droite et l’extrême droite », n’exclut pas de reconduire ou de participer à des listes d’union avec le PS dès le premier tour. Les militants communistes trancheront, localement, dans le courant de l’automne. Dans de nombreuses communes, le risque d’éclatement du Front de gauche est réel. Au même moment, un regroupement devrait se concrétiser en son sein. Après des mois de discussions impliquant toutes leurs structures de base, au moins quatre des neuf formations membres du Front de gauche (la Gauche anticapitaliste, la Fase, Les Alternatifs, Convergences et alternatives) et le collectif Tous ensemble, qui regroupe des personnalités non encartées, pourraient décider, les 24 et 25 novembre, de constituer une force commune, une sorte de « troisième pôle » au sein du Front de gauche, dont certains des initiateurs espèrent qu’il permettra « d’éviter un tête-à-tête entre PCF et PG générateur de tensions ».

Travailler plus longtemps ?

Le dossier des retraites est assurément le plus explosif pour l’exécutif. Trois ans après la réforme très contestée de Nicolas Sarkozy, le gouvernement assure qu’une « réforme est nécessaire » pour combler un déficit des caisses de retraites estimé à 20 milliards d’euros en 2020. La ministre des Affaires sociales, Marisol Touraine, qui mène les consultations, doit présenter un projet de loi au plus tard à la mi-septembre. Mais quatre syndicats – CGT, FO, FSU et Solidaires – ont d’ores et déjà programmé une journée de mobilisations et de grèves le 10 septembre. « Les premières déclarations [du gouvernement] inquiètent les salariés, les retraités et les demandeurs d’emploi, d’autant que le calendrier imposé est très resserré », affirment les syndicats. Refusant « tout allongement de la durée de cotisation », quand cette mesure a été présentée comme « juste » à plusieurs reprises par François Hollande, ils ne veulent pas non plus « de l’opposition public-privé et de la sous-indexation des pensions et des salaires portés aux comptes ». L’appel à la mobilisation, lancé le 8 juillet à l’issue d’une réunion au siège de la CGT, a autant pour objectif de « ne pas laisser les propositions du Medef faire la loi » que d’ « imposer d’autres choix au gouvernement ». Annick Coupé (Solidaires) estime possible « une plus large unité syndicale » une fois que le gouvernement aura fait ses annonces. La fronde syndicale a déjà trouvé un écho parmi la gauche politique et altermondialiste : une pétition, publiée dans notre précédente édition ( Politis n° 1262), a été initiée par Attac et la Fondation Copernic, avec le soutien des personnalités du Front de gauche, notamment Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon, du NPA, mais aussi de Gérard Filoche, membre du bureau national du PS. Leur slogan : « Pas un trimestre de plus, pas un euro de moins. »

Une austérité accrue

Le répit de deux ans, accordé par la Commission européenne pour revenir à 3 % de déficit, n’empêchera pas le budget 2014 d’être encore plus draconien que celui de 2013. Selon les documents transmis par le gouvernement aux parlementaires début juillet, l’État prévoit de réduire son déficit structurel de 20 milliards (1 point de PIB), dont 14 milliards en économies de dépenses. Les coupes seront particulièrement fortes dans les administrations et les collectivités, où l’exécutif table sur 9 milliards d’économies : suppression de 14 400 postes, gel du point d’indice des fonctionnaires, baisse drastique de crédit dans les ministères (jusqu’à 7 % pour l’Écologie et le Développement durable), baisse de 4 % des moyens affectés aux agences publiques et opérateurs (Météo France, CNRS, Ademe, agences de l’eau, audiovisuel public…), etc. Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale devrait suivre le même mouvement. Début juillet, l’assurance maladie recommandait, dans un rapport au gouvernement, 2,48 milliards d’économies. Avec notamment de nouvelles baisses de prix de certains médicaments, une limitation des prescriptions de médicaments onéreux, un recours accru aux opérations chirurgicales en ambulatoire, ou une nouvelle ponction sur les biologistes et les radiologues. Jamais l’État n’avait prévu de réduire autant son budget. Que cette « première » soit conduite par un gouvernement de gauche est contesté jusqu’au sein du PS.

Les rythmes scolaires chamboulent la rentrée

Quatre mille villes (re)passent à la semaine de 4,5 jours. Mesure phare de la loi sur la refondation de l’école, la réforme des rythmes scolaires a ouvert un véritable casse-tête. En effet, les communes se retrouvent à devoir organiser en vitesse trois heures d’activités périscolaires supplémentaires par semaine dans le premier degré. Dans quels locaux, alors que le nombre d’enfants accueillis va au moins doubler ? Avec quel encadrement ? Et pour faire quoi ? Les collectivités qui jouent les bons élèves dès cette année sont soit celles dont l’organisation entre le scolaire et le périscolaire fonctionnait assez bien pour trouver un nouveau modus operandi, soit les plus riches (« autant y aller tout de suite… »), soit les communes pauvres pour qui l’enveloppe « bon point » (50 euros par élève pour celles qui appliquent la réforme en 2013 + 40 euros par élève pour les communes les plus en difficulté) est toujours ça de pris. Avec les municipales en ligne de mire, les maires vont s’appliquer. Mais la mise en place est si complexe que les couacs ne manqueront pas. Combien d’enseignants, de parents, d’animateurs, de directeurs d’école et de centre de loisirs connaissaient-ils en partant en vacances l’organisation prévue pour la rentrée ? Sachant que, pour la plupart, il y aura classe le mercredi matin, et que, les autres jours, l’école pourra finir à 15 h, 15 h 45, ou 16 h 30…

La transition énergétique

La conférence environnementale annuelle, qui se tiendra les 20 et 21 septembre, sera un autre moment de vérité pour le gouvernement. Le Medef, la CGPME, l’Union professionnelle artisanale et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ont en effet refusé d’avaliser les quinze recommandations issues du débat national sur la transition énergétique, qui s’est achevé le 18 juillet. Un texte rebaptisé « synthèse des travaux », contenant des « enjeux », a depuis succédé à ces recommandations. La synthèse sera remise officiellement au gouvernement lors de la conférence, et devrait servir à la future loi de programmation énergétique. Ce texte laisse cependant ouvertes des divergences de fond entre le Medef et les écologistes sur le nucléaire et l’exploitation des gaz de schiste. Le gouvernement devra donc trancher et donner un cap à la transition énergétique, très attendu par les ONG environnementales.

Trois projets de loi très discutés

Le projet de loi Alur sur le logement sera présenté le 10 septembre au Parlement. En prévision, la plate-forme logement des mouvements sociaux – qui réunit vingt-cinq associations et syndicats – se réunissait le 23 juillet pour dénoncer « la faiblesse des mesures présentées ». La garantie universelle des loyers, très attendue, n’est pas financée et le dispositif d’encadrement des loyers privés pourrait entraîner une hausse paradoxale des loyers. La ministre du Logement, Cécile Duflot, a pris des engagements contre l’habitat indigne mais trop peu concernant l’accès à des logements pas chers. Aucune mesure réellement efficace n’aurait été prise non plus contre les expulsions et pour le relogement. Le projet de loi portant reconnaissance et développement de l’économie sociale et solidaire (ESS) sera examiné début octobre, en première lecture au Sénat. « L’ambition du gouvernement consiste à viser un changement d’échelle » pour cette « autre économie » qui représente près de 10 % du PIB et 13 % des emplois en France (2,4 millions de salariés), indique Benoît Hamon, ministre délégué à l’ESS. La reconnaissance du secteur concerne les mutuelles, les coopératives, les associations, ainsi que les entreprises sociales « dont les modes de production et de redistribution des bénéfices empruntent aux principes de l’ESS », une mesure critiquée par des acteurs du secteur, qui craignent l’arrivée de sociétés commerciales ordinaires. De leur côté, les organisations patronales (PME et artisanat), ainsi que les professionnels de la transmission d’entreprises, sont vent debout contre une mesure imposant aux patrons d’entreprises de moins de 50 salariés d’informer leurs salariés de leurs projets de cession. Enfin, une échéance décisive pour l’avenir du service public ferroviaire est programmée avec le projet de loi de réforme ferroviaire. Son examen prévu à l’automne à l’Assemblée nationale, en même temps que la réforme des retraites, est à très haut risque. Le ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, a présenté une réforme d’ampleur qui prévoit notamment des changements dans le statut des cheminots, et surtout de créer un gestionnaire d’infrastructure unifié (GIU), réunissant Réseau ferré de France (RFF), SNCF Infrastructure et la direction des circulations ferroviaires. Le choix controversé d’un établissement public à la tête de deux autres établissements publics répond aux attentes de la Commission européenne, qui prépare un quatrième paquet ferroviaire destiné à parachever la libéralisation de ce secteur. Les syndicats de cheminots craignent à terme la cession d’une partie du capital des entreprises publiques. De plus en plus décrié dans l’électorat de gauche – en témoigne la spectaculaire chute de popularité de François Hollande –, le gouvernement n’entend pas pour autant « changer de cap », comme le réclament le Front de gauche, Europe écologie-Les Verts et une partie du PS. Tout au plus compte-t-il « changer de discours », selon le mot du ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, très proche du chef de l’État. Il est douteux que cela suffise à calmer les tensions qui, déjà, pointent.

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