Un ultimatum pour l’honneur ?

Alors que Pascal Durand attend de François Hollande des gages forts lors de la conférence environnementale, la stratégie du parti vacille.

Patrick Piro  • 19 septembre 2013 abonné·es

«Vous venez pour assister à la sortie du gouvernement ? », plaisante Pascal Durand, cerné de journalistes. Samedi dernier, Europe Écologie-Les Verts (EELV) tenait son conseil fédéral à Paris, dans les locaux de la CFDT, et le secrétaire national avait laissé entendre que son discours allait « frapper fort ». Les deux ministres écologistes, Cécile Duflot et Pascal Canfin, se sont prudemment abstenus de participer à la réunion. « C’est la séquence du parti, aujourd’hui », glisse un cadre.

Les mots sont durs, nés de la colère. « Rien n’est entendu, rien ne change. Mercredi, j’ai senti le souffle de l’échec », confesse Pascal Durand. Ce jour-là, Alain Vidalies, ministre chargé des Relations avec le Parlement, confirme ce que bredouillait un peu plus tôt le ministre de l’Écologie, Philippe Martin [^2] : il n’y aura pas d’augmentation de la fiscalité diesel l’année prochaine. « Dans l’état actuel, le budget 2014 n’était pas “votable” », s’étaient émus plusieurs cadres écologistes, laissant planer la menace d’une rupture de l’alliance gouvernementale PS-EELV. Pour Pascal Durand, les écologistes ont pourtant joué le jeu en dix-huit mois de participation, avec la volonté du compromis. « Mais l’écologie a reculé  […], on se moque de nous, on nous ment ! » Car il y a aussi le report de la taxe « poids lourds » et le renvoi au printemps de la loi sur la transition énergétique, pourtant promise avant fin 2013. Pascal Durand conclut en mettant en demeure le Président et son Premier ministre : « Vous avez six jours, d’ici à la conférence environnementale, pour nous donner les éléments de la transition, objectifs, calendrier, modalités.  […] Nous jugerons sur les actes. J’en tirerai personnellement les conséquences et je demanderai au mouvement d’en tirer les conséquences. Je ne serai pas le secrétaire national du renoncement des écologistes. » *S’il est applaudi pour la fermeté** du discours, les orateurs qui se succèdent à la tribune expriment une désapprobation parfois marquée. *« Personne n’était au courant de son ultimatum », s’étonne Jérôme Gleizes, membre du bureau exécutif d’EELV et de l’aile gauche du parti, qui vient de produire sa motion pour le prochain congrès [^3], dont plusieurs signataires enfoncent le clou. « C’est le même discours attentiste qu’il y a quatre mois, quand nous avons voté à 94 % pour “changer de cap” !, rappelle l’eurodéputé Yves Cochet. Gageons que Hollande et Ayrault sauront trouver les mots apaisants, et les mêmes questions se reposeront en décembre. Les choses ne changent qu’à la marge, tirons-en les conclusions ! » « Le compte à rebours de la sortie du gouvernement est entamé », renchérit l’eurodéputée Karima Delli. Et si la conférence environnementale ne répond pas à nos attentes, poursuit Jérôme Gleizes, « quel projet aurons-nous à proposer à la société ? Nous aussi, nous devons sortir des discours si nous voulons être crédibles ». « On ne lance pas d’ultimatum sans canons », juge Pierre Minnaert, rejoint sur ce point par le député Denis Baupin, proche de Pascal Durand. « La bataille au sein du gouvernement n’est pas l’unique horizon, la question essentielle, c’est de changer le rapport de force ». Pour le sénateur Ronan Dantec, proche également de la direction d’EELV, si le parti est parvenu à un « moment de vérité, il a beaucoup de mal à assumer aussi bien la perspective de rester que de sortir du gouvernement. Nous allons le payer aux élections». Au sortir de cette semaine tendue, les écologistes se retrouvent en panne stratégique, soumis aux vents des annonces socialistes, ballottés entre l’optimisme distillé à bon compte par Philippe Martin et la désillusion délivrée par les vrais décideurs du gouvernement, Bercy en tête, à l’approche des décisions budgétaires. La ligne de « l’utilité de l’alliance gouvernementale », réaffirmée par la direction du parti à Marseille, apparaît aujourd’hui fragilisée comme jamais.

Le débat sur la Syrie constituait l’autre morceau de bravoure du conseil fédéral. Le communiqué pro-intervention, signé fin août par le secrétaire national et les chefs de groupes parlementaires écologistes, avait déclenché des contestations en interne [^2].

Samedi dernier, les débats se sont animés sur la question centrale de l’opportunité d’une opération militaire française. Rejetée par les tenants les plus fermes de la non-violence historique des écologistes, elle a néanmoins été envisagée, dans une motion de cinq pages, mais dans un cadre strictement onusien et assortie de plusieurs préalables reprenant les grandes lignes du programme d’EELV : « La prévention des conflits et la négociation politique comme seul moyen de parvenir à la paix. »

[^2]: Voir Politis du 12 septembre.

Les écologistes admettent aussi avoir été tactiquement battus sur l’un de leurs principaux axes de bataille. À l’heure où le gouvernement ne jure que par la pause sur les prélèvements, il a habilement fait émerger les exigences d’EELV comme antisociales. Dans l’amphithéâtre de la CFDT, certains des plus convaincus de la nécessité d’une fiscalité écologique convenaient qu’il fallait lâcher du lest pour qu’elle n’apparaisse pas comme le symbole d’une écologie punitive. « Laissons un peu tomber la taxe diesel, d’autant plus que 2014 verra bien l’amorce d’une contribution climat-énergie, j’en ai la certitude », affirme le sénateur Jean-Vincent Placé. Le numéro deux d’EELV a tenu à se situer au-dessus de la mêlée, surgissant en fin de conseil fédéral, après avoir fustigé le désordre ministériel du milieu de la semaine. Autre conséquence, la perte d’influence prévisible de Pascal Durand, jusque-là considéré comme consensuel mais qui a joué une manière de va-tout en mettant sa crédibilité personnelle dans la balance. Il a plus ou moins été désapprouvé dans sa méthode par plusieurs ténors du courant majoritaire qu’il représente – Yannick Jadot, Denis Baupin, Jean-Vincent Placé, François de Rugy. Le congrès de novembre, où il est question qu’il soit candidat à sa propre succession, s’annonce plus incertain qu’il y a un mois. D’autant que la conférence environnementale puis la présentation du projet de loi de finances 2014 s’annoncent comme décisives pour les écologistes. Noël Mamère, qui garde ses distances avec le parti depuis quelque temps, se dit désormais prêt à le quitter s’il s’obstine dans une politique de compromission aussi « suicidaire ».

[^2]: Lire « Philippe Martin, la douche écossaise des écolos »

[^3]: « La motion participative ».

Politique
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