Cuisine au sommet

En Savoie, Jean Sulpice publie son troisième opus culinaire. Un terroir et des parfums à l’honneur.

Jean-Claude Renard  • 12 décembre 2013 abonné·es

Un casseroleur a contrario. A contrario de ces chefs starisés parachutés en haute montagne, déboulant avec leurs cartes le temps d’un hiver à Courchevel, comme Yannick Alléno ou Alain Ducasse, déclinant leurs adresses, ou plutôt leur nom, au prix fort, dans les grands hôtels. Sulpice est un enfant du pays, né à Aix-les-Bains. Élevé dans les fragrances et les fumets d’une famille de restaurateurs. La vocation marquée à la culotte, il entre en apprentissage dans une auberge du Bourget-du-Lac, se mature aux herbes de Marc Veyrat, passe brièvement chez quelques têtes d’affiche à Paris, en Bretagne et en Alsace, puis revient en 2002 en Savoie relever la gageure d’ouvrir un restaurant à Val Thorens, L’Oxalys. À 2 300 mètres.

La gageure, parce qu’à cette altitude on travaille différemment. La nature commande. L’eau bout à 85 degrés et non à 100, le faible taux d’humidité sèche le pain, modifie les cuissons, vieillit le vin plus vite. Il s’agit de négocier avec les contingences, de tenir compte des conditions météo empêchant les livraisons de marchandises. Mais, au cœur des tartiflettes et des fondues, Jean Sulpice a réussi à imposer sa cuisine (2 étoiles au Michelin et des menus à 70 ou 120 euros, comptez le double ailleurs). Une cuisine d’auteur. Inventive, suivant scrupuleusement les saisons. Sincère. Qui privilégie, rebondit sur le local. Les fleurs, les herbes, le fromage, les poissons d’eau douce, recourt parfois aux produits venus d’ailleurs.

En témoigne le troisième ouvrage de Jean Sulpice, D’un hiver à l’autre, condensant dix années d’exercice en 55 recettes. Dont les intitulés disent le parti pris, sans fioritures, sans esbroufe. Une cuisine qui agit à l’instinct, en fulgurances : jaune d’œuf, écrevisse, herbes ; velouté de châtaigne, mousse de parmesan, pain ; cœur-de-pigeon, rhubarbe, safran de Savoie ; omble chevalier, oignon doux, haddock ; sérac, citron confit, fleur de ciboulette ; risotto de céleri au vin jaune et comté ; fraise, arche des montagnes… Une constance dans cette cuisine dépouillée, minérale : le jeu de textures et la fraîcheur des goûts, où l’acidité tient le rôle d’assaisonnement. Dont profitent aussi les mouflets : Jean Sulpice ragougnasse pour la crèche de Val Thorens. Velouté de topinambour, salade de betterave, quinoa… Parce que le goût est affaire d’éducation.

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