Biens communs, idée neuve

Geneviève Azam  • 20 mars 2014 abonné·es

Toutes les sociétés ont inventé des modalités de gestion commune des ressources, avec le souci de la préservation, du partage, du renouvellement : ce sont les « communs ». Le processus des enclosures – la privatisation des communs fonciers en Angleterre – fut un moment fondateur de la propriété privée agraire et du capitalisme. Il représenta également une guerre sociale et culturelle contre les paysans, contraints à l’exode rural.

Au cours du XXe siècle, le thème des communs a quasiment disparu de la réflexion : la propriété est envisagée comme propriété-appropriation, privée ou étatique. Les communs, quant à eux, se réfèrent à une propriété partagée entre des usagers regroupés dans une communauté dont la taille et la nature sont variables, et qui se donne des règles collectives d’usage et d’accès aux ressources.

La question des communs apparaît de nouveau à la fin des années 1960, à la suite d’un article de Garrett Hardin, la Tragédie des communs. Il en ressort que la gestion commune des ressources naturelles serait inefficace et engendrerait un épuisement rapide des richesses, du fait de l’augmentation de la population et de la présence de « passagers clandestins » qui profitent des biens disponibles sans s’acquitter des devoirs envers la communauté. Selon cette vision, les communs sont des ressources en libre accès, sans règles, menacés car soumis à la convoitise de l’homo œconomicus, individu radicalement asocial, profiteur, préoccupé de son seul intérêt personnel.

Ainsi fut légitimée la privatisation des communs, au cœur des politiques néolibérales à partir des années 1980. Cette thèse a été contestée par la chercheuse Elinor Ostrom, qui a montré comment la gestion commune des ressources permet généralement à la fois l’accès et la préservation.

Ce sont aussi des mouvements sociaux qui, en s’opposant à la marchandisation des ressources sans pour autant revendiquer une gestion étatique, ont réactualisé la démarche des communs dans les domaines des ressources naturelles, des savoirs, de la propriété intellectuelle, de la culture et de l’information[[La Renaissance des communs,
David Bollier, éd. Charles ­Léopold Mayer.]]. Plus largement, les commoners ont l’ambition de récupérer l’espace public. En ces temps d’élections municipales et face au démantèlement des communes, piliers d’une démocratie active appuyée sur l’expérience directe de transformations à notre portée, rappelons-nous que l’écrasement de la Commune et des communards a signé l’effacement ultérieur des communs, alors que ce moment essentiel de l’histoire populaire du XIXe siècle peut être lu, comme l’avait fait en son temps Henri Lefebvre[^2], comme un moment de retour en force vers le centre urbain des ouvriers rejetés vers les faubourgs, comme une reconquête de la ville, « ce bien entre les biens, cette œuvre » , qui leur avait été arrachée.

Le Réseau francophone pour les biens communs a publié un manifeste autour de seize propositions pour les municipalités, « productrices de communs et coproductrices de communs avec les citoyens ». C’est une base, sans doute à compléter et à discuter, pour des initiatives locales et communales trop souvent dévaluées. 

[^2]: Le Droit à la ville, Henri Lefebvre, Seuil, (1968).

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