Lyon : l’occasion manquée de la gauche

Les dissensions entre le PCF et les Verts ont empêché la gauche « de gauche » de partir unie à Lyon. Et lui font rater sa chance de faire contrepoids au maire sortant, le PS Gérard Collomb.

Pauline Graulle  • 20 mars 2014
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Lyon : l’occasion manquée de la gauche
© Photo de Lyon: Jeff Pachoud/AFP

Une campagne « tous ensemble contre Collomb » ? Cela aurait pu y ressembler. Si seulement la gauche s’était donnée les moyens de l’union. À Lyon, pour la première fois depuis ses quatorze ans de règne, Gérard Collomb, en lice pour un troisième mandat, n’est pas soutenu par ses alliés historiques. Ni les Verts ni les communistes n’ont accepté de fusionner au premier tour avec ce candidat qui n’a plus de socialiste que sa carte – qu’il garde « par fidélité » . Pour autant, ni les Verts ni les communistes n’ont réussi à s’entendre pour créer un contrepoids suffisant à gauche. Laissant un boulevard au maire sortant qui a, de fait, toutes les chances de l’emporter dans deux semaines face au candidat UMP, Michel Havard.

« Despote éclairé »

L’histoire remonte au printemps dernier. Lorsque des militants et élus verts, socialistes et du Parti de gauche évoquent l’idée d’un rassemblement à la gauche de Collomb aux municipales. L’édile, neuf fois cumulard (maire de Lyon, président du Grand Lyon, président du Pôle métropolitain, sénateur, etc.), est de plus en plus critiqué. Y compris au sein de son propre camp. En cause, son pouvoir autocrate, sa connivence avec le monde des affaires, mais aussi ses choix économiques libéraux : privatisation du ramassage des ordures malgré le vote défavorable des élus, renouvellement de la gestion de l’eau potable à Veolia, transformation de l’Hôtel-Dieu en complexe de luxe, vente de quartiers entiers à des émirs d’Abu Dhabi…
Sans oublier le très décrié projet de nouveau stade à Décines (vigoureusement dénoncé par le collectif de citoyens Les Gones pour Gerland), ou l’expulsion systématique des Roms de la ville. Quant aux préférences politiques de celui qu’on surnomme « le baron » , elles sont, là encore, plutôt inhabituelles : pour ne citer qu’un exemple, son adjoint aux finances, pressenti pour devenir vice-président de la métropole, Richard Brumm, est ouvertement sarkozyste. « Collomb, le social, il connaît pas , résume Renaud Payre, prof à Sciences Po Lyon. C’est une sorte de despote éclairé néolibéral » .


Illustration - Lyon : l’occasion manquée de la gauche  - En juin 2012, Collomb soutenait un PRG contre le candidat EELV investi par le PS (DR).

Après des législatives houleuses en 2012, où Gérard Collomb n’avait pas hésité à faire élire le PRG Thierry Braillard contre le Vert Philippe Meirieu, qui avait l’investiture du PS (photo), la majorité municipale « rouge-rose-verte » a fini de se déliter. Plusieurs adjoints, et même les très proches de la campagne de 2001 (comme son directeur de campagne), claquent la porte du « système Collomb » . Un système qui « repose sur le clientélisme, la menace et le mensonge » dénonce, dans un tweet qui fera date, Nathalie Perrin-Gilbert, la maire du Ier arrondissement de Lyon. Exclue du PS, l’élue est devenue la principale adversaire de son ancien mentor, et a fondé, avec Renaud Payre, le Gram (Groupe de réflexion et d’action métropolitaine), sous les couleurs duquel elle se présente dans le 1er secteur dimanche.
Même « ras le bol » pour Michel Chomarat, chargé de mission auprès du maire pendant douze ans et ouvertement militant de la cause gay, passé chez les Verts après que Collomb a désigné sur sa liste du 5e secteur un certain Jean-Dominique Durand, proche de l’ultra réac cardinal Barbarin. Un arrondissement dans lequel la liste socialiste, menée par un ex-Modem, ne comporte d’ailleurs… aucun socialiste éligible !

Une « faute politique »

C’est dans cette ambiance crépusculaire qu’à l’automne 2013 le PCF organise un vote interne : rester dans la majorité municipale, ou participer au rassemblement à gauche, avec les Verts, le Parti de gauche et le Gram ? À plus de 52 %, les quelque 200 militants communistes locaux se prononcent pour le rassemblement à gauche – ce qui n’empêchera pas six élus communistes « pro-Collomb » de rester avec le maire sortant, sans risquer l’exclusion par la Place du Colonel-Fabien.

Illustration - Lyon : l’occasion manquée de la gauche  - Aline Guitard, tête de liste du Front de gauche (Photo: Jeff Pachoud/AFP)

À la tête des « autonomistes », Aline Guitard, la chef de file du PCF local, a pourtant voté pour rester dans la majorité municipale « parce qu’avec la nouvelle loi PLM, c’est encore plus difficile de peser » , justifie-t-elle, avant d’assurer que son engagement est désormais plein et entier pour la stratégie autonome.
Malentendus ? Mauvaise foi ? Désaccords de fond ? L’arrivée du PCF, première force du Front de gauche, dans le jeu, va bouleverser les plans des autres composantes qui s’étaient déjà réparti les têtes de liste pour les municipales. À la surprise générale, les Verts, pourtant à l’initiative de l’union, décident de faire cavalier seul. « Je vois à ce désistement des raisons plus politiciennes que politiques, et aussi une bonne part d’anticommunisme » , avance Aline Guitard, qui estime qu’EELV a commis rien de moins qu’une « faute politique » .
« Le PCF ne voulait pas des Verts » , rétorque Étienne Tête, ancien adjoint et co-tête de liste EELV (avec Emeline Beaume), qui, ironie du sort, se retrouve à combattre Aline Guitard dans le IVe arrondissement. Sans l’avouer complètement, cet opposant acharné à Gérard Collomb, qui dénonçait encore il y a peu « ce système clientéliste où les élus, pour maintenir leurs fonctions et leurs indemnités, ont perdu leur capacité d’innovation et de conviction » , regrette le choix de son parti, que d’aucuns imputent à la direction nationale, venue soutenir les candidats la semaine dernière.

Dynamique

« On souhaitait vraiment une union** , ce qui arrive est très malheureux »* , estime Andréa Kotarac, jeune chef de file du Parti de gauche, qui espère toutefois « créer la surprise » dimanche. Combien aurait pu peser la dynamique unitaire à gauche ? Alors qu’un sondage donne les listes EELV et Front de gauche/Gram au coude-à-coude, aux alentours de 8 % chacune au premier tour, il n’est pas interdit de penser que cette dynamique aurait permis à la gauche « de gauche » de dépasser largement la barre des 10 %, permettant de se maintenir au second tour. Et dans tous les arrondissements.

Mais alors que Collomb part grand favori, les supputations vont bon train. Une triangulaire avec le Front national est à craindre, qui permettrait à Collomb de l’emporter haut la main. « Mais si le FN fait moins de 10 %, Collomb peut avoir besoin de nous » , analyse Étienne Tête. Lequel assure qu’alors les Verts négocieront ferme pour enterrer l’immense projet de chantier du périphérique ouest. Côté Front de gauche, on « n’exclut rien pour la suite » , dit Andréa Kotarac. « En réalité , poursuit Étienne Tête, c’est Collomb qui a la main » . Comme toujours…

Illustration - Lyon : l’occasion manquée de la gauche  - Etienne Tête, co-tête de liste EELV (Photo: Philippe Desmazes/AFP)

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