Élections européennes : un mode de scrutin pas si proportionnel

Le mode d’élection des représentants des États membres de l’UE relève du libre choix de chaque pays. En France, il favorise les listes dominantes.

Michel Soudais  • 8 mai 2014
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Élections européennes : un mode de scrutin pas si proportionnel
© Photo : GERARD CERLES / AFP

Le 25 mai, nous sommes appelés à élire 74 députés européens dans huit circonscriptions. Un mode d’élection peu usité dans l’Union européenne, où seuls cinq États disposent de plusieurs circonscriptions, justifiées parfois, comme en Belgique, par des différences linguistiques. Cette spécificité française, autorisée par l’UE qui réclame juste que l’élection au Parlement européen soit à la proportionnelle, est relativement récente. Avant 2004, le scrutin se déroulait dans une circonscription nationale unique. Cette élection constituant même, à sa création en 1979[^2], la seule élection de liste à la proportionnelle.

Mais en 2003, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin décide de changer de système. La principale raison invoquée pour justifier cette réforme est que le nouveau mode permettrait de lutter contre l’abstention croissante qui menace cette élection plus que toute autre. Alors que le gouvernement issu de la catastrophe électorale du 21 avril 2002 se veut en empathie avec « la France d’en bas », le nouveau scrutin est censé
rechercher une plus grande proximité entre les électeurs et leurs élus ;
assurer une meilleure représentation de la diversité géographique de notre pays.

Ces objectifs ont été repris par le socialiste Thierry Repentin , ministre délégué aux Affaires européennes, devant l’Assemblée nationale, le 28 mars 2013, pour refuser une proposition de loi du PRG qui visait à un retour à une circonscription nationale :
«  Ce que nous voulons tous, c’est une Europe plus proche des citoyens. La territorialisation du scrutin a un avantage indéniable : elle crée les conditions favorables à une campagne concrète sur l’impact de la politique européenne, avec des candidats et des candidates identifiés au territoire. (…) D’ailleurs, l’Europe elle-même raisonne en termes de régions, notamment en ce qui concerne les fonds de cohésion. »

Ce mode de scrutin est pourtant très loin d’avoir fait la preuve des vertus qu’on lui prête.
L’abstention n’a pas reflué.
Les élus ne sont pas moins qu’avant désignés par les partis qu’ils représentent.
Si les campagnes européennes flattent parfois un certain localisme, elles manquent les vrais enjeux de l’élection qui, eux, sont avant tout européens.
Les députés européens sont bien incapable d’incarner un territoire puisque leurs circonscriptions interrégionales ne présentent aucune cohérence d’ordre géographique, historique, économique, social ou culturel (voir carte ci-dessous). Et l’Ile-de-France, qui faisait exception, devient cette année la circonscription de rattachement des Français résidents à l’étranger, ce qui lui permet de récupérer deux élus supplémentaires.

Illustration - Élections européennes : un mode de scrutin pas si proportionnel

Une proportionnelle largement fictive

Ce scrutin a surtout un défaut de taille : celui de ne plus être tout à fait un scrutin proportionnel. Quand l’élection se faisait dans une circonscription nationale unique, il suffisait qu’une liste obtienne 5 % des voix pour avoir un élu. En théorie, la règle n’a pas changé (art. 14 de la loi du 11 avril 2003). Mais en pratique, dans le cadre des interrégions, ce seuil est beaucoup plus élevé. Lors du dernier scrutin de juin 2009, le NPA n’a obtenu aucun siège, bien que cinq de ses listes, aient obtenu entre 5,13 % et 5,8 % dans les circonscriptions Nord-Ouest, Ouest, Est, Sud-Ouest et Massif central-Centre. Dans cette dernière, les listes du FN (5,12 %), du Front de gauche (8,07 %) et du MoDem (8,14 %) n’avaient également eu aucun élu.

L’explication de cette anomalie démocratique est simple. Moins une circonscription compte d’élus, plus le seuil nécessaire pour en décrocher un, appelé quotient électoral[^3], est élevé. Ce principe de base, qui dessert les listes qui n’arrivent pas en tête des suffrages, est renforcé par le mode de scrutin retenu. En l’occurrence, le législateur a opté pour une répartition des sièges à la proportionnelle, suivant la méthode de « la plus forte moyenne », également appelé méthode d’Hondt (Pour des explications sur ce mode de calcul, voir ici). Cette méthode a la propriété de donner l’avantage aux listes dominantes quand une autre méthode, la proportionnelle « au plus fort reste », favorise la représentation des minorités.

Ces deux caractéristiques du scrutin (le découpage interrégional et la proportionnelle à la plus forte moyenne) se combinent donc pour rendre ce scrutin, qui n’a de proportionnel que le nom, inégalitaire, puisque d’une circonscription à l’autre le seuil à partir duquel on obtient un siège de député européen peut différer sensiblement ; c’est ce que montre le tableau animé ci-dessous basé sur les résultats de l’élection de juin 2009.

Le mode de scrutin se complexifie encore dans la 8e circonscription (3 sièges) qui regroupe l’ensemble des départements et territoires d’outre-mer. Cette circonscription compte trois « sections » (Atlantique, océan Indien, Pacifique), les députés élus au final devant être obligatoirement issus d’une section différente (Voir les explications de ce mode de scrutin complexe sur le site du ministère de l’Intérieur).

L’un des objectifs du changement de mode de scrutin de 2003 , avoué à demi-mot, était de contrarier la poussée du FN qui venait de qualifier son leader au second tour de l’élection présidentielle. D’où la moindre représentation des petites formations, allant jusqu’à leur élimination : de 1999 à 2004, LO avait 3 députés européens et la LCR, ancêtre du NPA, 2. Mais si le mode de scrutin actuel a effectivement contribué, en 2004 et 2009, à diminuer le nombre d’élus lepénistes (3 députés sortants), il pourrait bien le gonfler cette année.

[^2]: Année de la première élection des représentants français au Parlement européen.

[^3]: Le quotient électoral est égal au nombre de votes divisé par le nombre de sièges. C’est ce chiffre qui va ensuite servir à attribuer les sièges de chaque liste en divisant son nombre de voix par le quotient électoral.

Politique
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