Philippe Pujol, prix Albert-Londres : « Faire sérieux sans être chiant »

Prix Albert-Londres pour la presse écrite pour ses reportages sur les cités de Marseille, Philippe Pujol revient sur l’exercice du fait divers et le métier de journaliste.

Jean-Claude Renard  • 29 mai 2014 abonné·es
Philippe Pujol, prix Albert-Londres : « Faire sérieux sans être chiant »
© Photo : AFP PHOTO / NICOLAS TUCAT

C’est peu commun : un prix Albert-Londres récompensant un localier. Un prix qui tombe d’ordinaire dans l’escarcelle des grands médias nationaux, mais que vient d’enlever Philippe Pujol pour une série de reportages parus dans la Marseillaise, au cours de l’été 2013, Quartiers shit [^2]. Un travail en dix volets sur les quartiers populaires de Marseille, qui entend raconter ses habitants de l’intérieur. Ici, le portrait d’un caïd, de jeunes confrontés à un immuable plafond de verre, et la mainmise des réseaux de stups sur les familles, là encore, le relogement d’urgence, le clientélisme, la corruption… Soit une violence sociale passée aux « rayons X ». Sans rien céder aux fantasmes habituels. Entretien.

Quelle était votre intention dans ce reportage ?

Philippe Pujol : J’écris sur le fait divers et les réseaux de stups depuis plus de huit ans, et je trouvais que la manière de traiter les quartiers et les trafics de stups dans les cités, dans les médias nationaux, mais pas seulement, c’était n’importe quoi. Ça relevait de la machine à café. Un collègue m’a incité à écrire sur le sujet, que je pouvais traiter avec une certaine forme, une écriture proche de l’oralité. Mon intention était donc de dédramatiser le dramatique pour être plus près de la réalité, parce qu’on a tendance, dans la presse, à utiliser le drame à des fins de spectacle et non pour l’information. J’ai essayé de faire le contraire, tout en maintenant l’attention du lecteur pour l’épisode suivant. Il faut arrêter de faire sérieux en étant plat. On peut faire sérieux sans être chiant !

Comment avez-vous procédé pour rencontrer les habitants des quartiers ?

J’ai 38 ans, j’ai grandi à la Belle-de-Mai, j’ai toujours gardé des contacts, j’ai été également agent de sécurité, un peu garde du corps, professeur de tennis dans ces quartiers, que je n’ai jamais vraiment quittés. En tant que journaliste, je suis allé à leur rencontre, tout simplement, en prenant le temps de leur parler, en évitant d’évoquer d’abord les trafics de stups. Les écouter raconter leur galère d’emploi, de logement était aussi ce que je devais intégrer dans mon sujet. Il était surtout important de ne pas les trahir, parce qu’ils connaissent parfaitement les médias.

Qu’est-ce qui vous attire dans le fait divers ?

J’ai été nommé « volontaire » pour couvrir le fait divers. Cela m’a permis de travailler mon écriture et d’apprendre le métier : c’est la meilleure école pour aller chercher de l’info, pour la vérifier, ne pas nuire à ses contacts, ni aux victimes. L’erreur pour un fait-diversier est payée cash, alors que pour un article politique, cela ne porte pas à conséquence. Dans le fait divers, on est très près de la loi de proximité, de tous les sentiments les plus primitifs, de la colère, de la joie, de la tristesse. C’est une écriture dans l’émotionnel, mais qui doit rester chirurgicale pour ne pas être mièvre. On se ridiculise vite si on n’y prend pas garde.

Quel regard portez-vous sur le traitement médiatique de ces quartiers, à Marseille comme ailleurs ?

On a tendance à vouloir donner au lecteur ce qu’il veut, à suivre l’air du temps. Comme les cités sont des lieux difficiles à décrire, on a tendance à vouloir simplifier les choses, à trouver deux camps, l’un bon, l’autre méchant, au lieu d’assumer la complexité des lieux. C’est peut-être au journaliste de résister à la tentation de séduire son lecteur. J’écris ce que je vois, ce que je perçois, non pas ce que les gens veulent entendre au bar, et qui finit par tourner en boucle. Je fuis cette pensée unique. Les zones font fantasmer les gens, ces zones qui ne sont pas des zones de non-droit, mais de tous les droits, peu explorées par les médias. Il est évidemment difficile de faire entrer une caméra pour filmer un réseau de stups. La tendance est donc à la spectacularisation, qui répond à la demande des chaînes qui, elles-mêmes, ont l’impression de répondre à la demande du public. On est donc dans un système autoalimenté de fantasmes, autour de lieux qui, en plus, sont manipulés idéologiquement par une pensée droitisée et droitisante. On assiste à un mélange de spectacle et de politisation, de théâtralisation, dans lequel le journaliste se laisse faire, le plus souvent parce qu’il est en situation de précarité.

[^2]: La série de reportages est accessible sur son site : philippepujol.blogspot.com

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