Rythmes scolaires : «Il faut marcher sur deux jambes, Éducation nationale et animation !»

ENTRETIEN. 50 ans mais quelle reconnaissance ? Les professionnels de l’animation ont été peu entendus dans le cadre de la réforme des rythmes à l’école. La réaction de Patrice Weisheimer du SEP-Unsa.

Ingrid Merckx  • 10 septembre 2014
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Rythmes scolaires : «Il faut marcher sur deux jambes, Éducation nationale et animation !»

Les professionnels de l’animation ont été peu entendus dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Les nouveaux temps périscolaires les placent pourtant en première ligne : combien d’embauches ? Quelle formation pour les quelque 300 000 nouveaux animateurs prévus ? Pour quelles activités et avec quel budget ? Le Sep-Unsa réclame une meilleure reconnaissance de cette profession, la mise en place d’un Pôle éducatif interministériel, auquel le candidat Hollande s’était engagé, et avec un niveau minimum de formation initiale et continue assuré. Entretien avec Patrice Weisheimer, secrétaire général du Syndicat d’éducation populaire SEP-Unsa.

Le SEP-Unsa et le Journal de l’animation fêtent aujourd’hui et demain les 50 ans de l’animation. À quoi correspond cet anniversaire ?

Patrice Weisheimer : Le 9 septembre 1964 est paru le décret instituant le premier diplôme professionnel de l’animation : le Decep (diplôme d’État de conseiller d’éducation populaire). Cette date entre en résonance avec notre actuel combat pour une véritable reconnaissance de la profession : la majorité des animateurs sont rémunérés à hauteur du Smic horaire, 70 % sont à temps partiel, voire très partiel (accueil le matin dans les écoles, périscolaire le soir), et nombreux doivent, pour se former, prendre en charge leur formation : le brevet professionnel de jeunesse d’éducation populaire et du sport (BPJEPS) homologué au niveau IV (bac), correspond à environ 12 à 18 mois de formation et coûte entre 12 000 et 15 000 euros. Sur la réforme des rythmes scolaires, la parole a été donnée aux enseignants et aux maires, on a peu entendu les professionnels de l’animation, pourtant partenaires de cette réforme.

La réforme des rythmes scolaires devrait engendrer 370 000 créations de postes dans l’animation, dont 70 000 de directeurs. Où en est-on ?

Ces annonces d’embauches sont en effet un des effets positifs de cette réforme. Nous ne serons pas en mesure de donner des chiffres concernant les embauches effectives générées par la réforme avant février 2015. Mais si ces 370 000 ont bien lieu, nous serons bientôt près de 800 000 professionnels de l’animation en France. Autant que d’enseignants. Ce nombre devrait nous permettre de peser dans le débat. Ce qui n’a pas été le cas jusqu’à maintenant : notre secteur est assez dispersé, et les enseignants et les maires sont parvenus à entrer dans un rapport de force.

Une réforme « scolaro-centrée »

Comment se fait-il que les professionnels de l’animation aient été si peu entendus sur la réforme des rythmes scolaires ?

Tant que l’on parle de « réforme des rythmes scolaires », cette réforme restera « scolaro-centrée ». Nous défendons une réforme des rythmes éducatifs, soit marchant sur deux jambes : Éducation nationale et animation. Au départ, la loi sur la refondation de l’école s’inscrivait dans une logique de coéducation, telle que formulée notamment avec l’Appel de Bobigny. Elle permettait une prise de conscience : l’animation ne se réduit pas à un face-à-face pédagogique avec les élèves mais à un temps d’éducation qui doit englober des temps de préparation des ateliers et des activités, des temps de réflexion et d’échange collectifs avec les enseignants et l’équipe d’animation, des temps d’évaluation et de coordination… Il faut que ces temps existent et soient rémunérés. Mais pour cela, il faut un pilotage national via un Pôle éducatif réunissant tous les ministères éducatifs et dont la création comptait parmi les engagements pris par le candidat François Hollande dans son discours de Créteil le 11 février 2012.

Quelles avancées avez-vous obtenues ?

Les professionnels de l’animation avaient été oubliés dans le Comité de suivi de la réforme des rythmes. Nous y avons maintenant un siège. Pour nous, la question de la formation reste centrale. Nous avons obtenu que des formations aient lieu notamment dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) avec des élèves-enseignants et d’autres acteurs éducatifs. Tous partagent un même besoin de se former sur au moins quatre volets : la connaissance des publics, la pédagogie, la déontologie dans l’acte éducatif et le paysage institutionnel de l’Éducation. Aujourd’hui, certaines équipes embauchent des bénévoles qui reçoivent 48 heures de formation, et nombreux animateurs diplômés s’entendent dire qu’ils sont trop qualifiés. Le message principal, c’est : les animateurs coûtent trop cher. Mais qui veut-on mettre face à des enfants ? Et pour faire quoi ?

Ne pas rire des « colliers de nouilles »

Les principaux reproches qui entachent cette réforme sont un accroissement des inégalités territoriales et un risque de privatisation de l’école. Qu’en pensez-vous ?

Les partisans de l’État régalien voudraient voir les mêmes politiques publiques appliquées à l’ensemble du territoire. Mais la réalité qu’on observe avec des politiques ciblées sur des publics et des territoires, on en est très éloignés. Il faut repenser un modèle intermédiaire permettant l’égalité et la prise d’initiative dans l’esprit des politiques d’empowerment. En outre, cette réforme des rythmes ne peut se mettre en place de la même manière partout : le temps périscolaire ne peut prendre la même forme sur un territoire montagnard, où se posent des problèmes de transports, et en ville. II ne peut y avoir de solution unique. Ce problème d’égalité existe mais il est antérieur à la réforme. Il faut sortir d’une vision jacobine, défendre l’école républicaine mais ouverte à d’autres acteurs. L’enjeu de la réforme, c’est de permettre à chaque collectivité de trouver une solution adaptée à son territoire.

Les professionnels de l’animation se plaignent d’une méconnaissance de leurs métiers. Nombreux assimilant le centre de loisirs à de la garderie…

J’invite les parents à se pencher sur les projets éducatifs. Les temps d’activité reflètent cette construction préalable. Les fameux « colliers de nouilles » tant moqués peuvent permettre à des petits de développer des exercices de motricité, manipulation, et concentration, étape par étape. Une « simple partie de foot » sous un œil pédagogue peut être l’occasion d’un travail sur le respect des règles, la coconstruction de règles, l’arbitrage par les joueurs eux-mêmes, etc. Une thématique autour du réchauffement climatique peut permettre un passage de relais entre un enseignement sur le sujet et des animations qui poursuivront avec des temps de lectures ou de jeu autour du thème, des activités de jardinage ou liées à l’alimentation : les fruits et légumes de saison, etc. Ce qui semble évident dans le cadre de cette réforme, c’est que pour les animateurs – comme pour les enseignants d’ailleurs –, il est difficile de mettre en place une activité sur une durée de moins d’une heure, d’autant plus qu’il faut dans certains endroits compter un temps de déplacement aller et retour.

Société
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