Ukraine : La parole précieuse de Mikhaïl Gorbatchev

La crise donne toujours lieu à des analyses très divergentes. Mais l’ancien président de l’URSS remet les événements en perspective.

Lou-Eve Popper  • 13 novembre 2014 abonné·es
Ukraine : La parole précieuse de Mikhaïl Gorbatchev
© Photo : AFP PHOTO / DIMITAR DILKOFF

De violents affrontements ont éclaté ces derniers jours dans les régions séparatistes ukrainiennes entre l’armée régulière et les rebelles prorusses. Cet embrasement du conflit a lieu à la suite des élections du 2 novembre dans les bastions prorusses, qui ont notamment permis à des chefs militaires de prendre le pouvoir. Le scrutin, que Kiev n’a pas reconnu, a contribué à saper un peu plus le processus de paix engagé en septembre par la capitale ukrainienne et les séparatistes.

Ce retour de la violence dans la région du Donbass survient au moment où la Russie choisit de réarmer les séparatistes. Des chars et des canons ont en effet convergé vers Donetsk, faisant craindre la reprise d’une guerre totale en dépit des mises en garde occidentales adressées à la Russie. Ce réarmement des séparatistes par Moscou fait la une des journaux mais une intervention plus discrète – et plus pacifique –, celle de Mikhaïl Gorbatchev, mérite aussi qu’on lui prête de l’attention. L’ancien président de l’URSS a mis en garde contre le risque d’une nouvelle guerre froide dont la faute reviendrait aux Occidentaux. À la chute du mur, les Occidentaux, soutenus par Boris Eltsine et trahissant leurs engagements à l’égard de Mikhaïl Gorbatchev, se sont empressés de privatiser massivement le marché russe. À la fin du pacte de Varsovie, le camp occidental a fait preuve d’expansionnisme en intégrant des ex-pays de l’URSS dans l’Otan. Philippe Migault, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) partage l’analyse de Gorbatchev. Les Russes, explique-t-il, se sentent «  très menacés par l’avancée de l’Otan  » et c’est la raison pour laquelle une grande majorité d’entre eux se range aujourd’hui derrière Vladimir Poutine. À son arrivée au pouvoir, le président russe est en effet apparu comme l’homme qui allait remettre de l’ordre dans le pays et permettre de laver l’humiliation.

Mais que faire, aujourd’hui ? La prise en compte de ces différentes temporalités donne lieu à des analyses opposées. Le chercheur à l’Institut Thomas-More, Jean-Sylvestre Mongrenier, d’inspiration très libérale, part du même constat que Philippe Migault : un État fédéral en Ukraine n’est plus envisageable depuis que la guerre a éclaté au printemps dernier. Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, c’est surtout la position de la Russie sur le terrain qui a changé la donne. Philippe Migault assure, pour sa part, que ce sont «  les exactions de la guerre civile et notamment les bombardements de l’aviation ukrainienne   sur les populations du Donbass » qui ont enterré l’éventualité d’un État fédéral.

Selon Jean-Sylvestre Mongrenier, l’objectif de Moscou est très clair : il s’agit de «  dépecer l’Ukraine » et de reconstituer, à terme, l’ex-URSS en revenant aux frontières de 1991. Pour le chercheur, la Russie tient de ce fait un « discours géopolitique révisionniste » et adopte une position revancharde à l’égard de l’Occident. Après la Crimée, poursuit le chercheur, Vladimir Poutine a pris le contrôle d’une partie du Donbass et consolide désormais un « quasi-État  » dans le sud de l’Ukraine afin de former la «  nouvelle Russie ». Ce docteur en géopolitique précise bien qu’il s’agit, pour lui, d’un «  dépeçage  », produit d’une intervention extérieure et non pas d’une «  partition  », terme qui sous-entendrait qu’il s’agit d’un processus autonome. Pour Jean-Sylvestre Mongrenier, Vladimir Poutine applique la « stratégie du chaos organisé » qui consiste à adapter sa rhétorique en fonction des sanctions européennes tout en conservant une volonté géopolitique très claire. Ce faisant, Poutine manierait avec brio « l’art de la guerre ». L’analyse de Philippe Migault est tout autre. Selon lui, Poutine a uniquement voulu, depuis son retour au pouvoir, « exercer une influence  » sur l’Ukraine. Mais pour le chercheur, «  il n’est pas du tout certain que Vladimir Poutine veuille dépecer l’Ukraine afin de l’intégrer à la Russie  ». Et ce, poursuit-il, « parce que l’intégration a un coût et qu’il faudrait que la Russie investisse énormément pour que ces territoires ukrainiens rattrapent leur retard économique ».

Monde
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