Yves Cochet : « Serge Moscovici et Alexander Grothendieck ont créé le déclic en moi »

Hommage : Le sociologue Serge Moscovici et le mathématicien Alexander Grothendieck viennent de s’éteindre. L’ex-député EELV Yves Cochet a côtoyé ces deux figures engagées en écologie. Il témoigne.

Patrick Piro  • 20 novembre 2014 abonné·es
Yves Cochet : « Serge Moscovici et Alexander Grothendieck ont créé le déclic en moi »
© Photo : DR

«J’ai rencontré Serge Moscovici en 1973 et à plusieurs reprises ensuite, notamment lors des réunions de l’association des Amis de la Terre, créée à cette époque, dont il était un membre très actif. Professeur à Jussieu, il a été l’un des premiers à écrire sur le regard que l’homme porte sur la nature, alors qu’il s’interrogeait sur l’influence de la technologie et du progrès. Il proposait une approche philosophique de l’écologie, et j’ai lu avec ravissement son livre la Société contre nature. Il fut l’un de nos inspirateurs au sein de la mouvance écologiste. Et quand nous constations que notre pensée était portée par un intellectuel issu des sciences sociales ayant contribué, dans son domaine, à faire de la nature un objet de recherche, nous nous prenions à croire que nos idées avaient une chance de percer.

Cette période était traversée de polémiques et de débats, alors qu’aujourd’hui la pensée est molle, moyenne. Nous vivions sous l’influence d’intellectuels engagés en politique ou dans les luttes sociales, sans disjonction ni contradiction avec leur carrière, qu’il s’agisse d’un Aron, d’un Sartre compagnon de route du Parti communiste ou d’un Foucault militant de causes liées à la condition carcérale. Aujourd’hui, même si les sciences humaines écrivent de plus en plus volontiers sur la crise écologique, c’est à distance que se tiennent les auteurs, en position d’observateurs professionnels, souvent dénués d’engagement personnel. La posture d’un Alain Touraine menant une « observation participative » sur les mouvements antinucléaires ne trouve plus beaucoup d’équivalents. Serge Moscovici n’hésitait pas à descendre dans l’arène sociale et politique – il fut l’un des fondateurs de Génération écologie, en 1990. On peut regretter la disparition de ce profil d’intellectuels. J’ai également croisé à plusieurs reprises cette personnalité mythique qu’était Alexander Grothendieck, à l’occasion d’un séminaire qu’il donnait à l’université de Rennes, où j’étais étudiant en mathématiques. C’était une légende vivante ! Je discutais avec lui non de mathématiques – il planait bien au-dessus de nous –, mais d’écologie. C’était un personnage très volubile, mais d’un radicalisme excessif, admirable dans ses choix de vie, proche de l’ascèse, mais invivable. À la différence d’un Moscovici, Grothendieck n’est pas parvenu à contaminer par l’écologisme son milieu professionnel. Dans son ouvrage Des récoltes et des semailles, il se montre même un peu amer vis-à-vis de la sphère de ses confrères, dont il déplore une certaine mollesse intellectuelle.

L’implication d’Alexander Grothendieck fut très différente de celle de Serge Moscovici. Il n’a jamais participé au mouvement associatif. Et si j’ai eu l’occasion de le croiser dans des manifestations, comme celle en opposition à la construction de la centrale nucléaire du Bugey (Ain), en 1971, c’était sans appartenance militante ou politique. Grothendieck n’aura finalement exercé qu’une influence réduite sur ses contemporains, au travers du petit groupe antimilitariste et écologiste Survivre et vivre, qu’il avait fondé avec ses amis Pierre Samuel, engagé au sein des Amis de la Terre, et Claude Chevalley, tous deux mathématiciens comme lui. J’en ai fait partie entre 1970 et 1974. Ce groupe a publié une vingtaine de bulletins, où Alexander Grothendieck a signé plusieurs articles. Ils promouvaient une écologie fondamentaliste extrêmement radicale. Lors de mes années de fac, en 1968, j’ai eu l’occasion de côtoyer toute une palette de mouvances gauchistes, mais aucune ne m’a convaincu. Étudiant en maths – et pas en sciences de la vie –, ce n’est pas sous l’influence d’un milieu biologiste ou naturaliste que je suis venu à l’écologie. Ce sont plutôt des esprits comme Serge Moscovici et Alexandre Grothendieck qui ont créé le déclic en moi. »

Écologie
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