Une stratégie de tension avec la gauche

L’avalanche d’annonces de réformes à laquelle s’est livré Manuel Valls vise à rendre inaudible ce qu’il appelle « la gauche passéiste ».

Michel Soudais  • 18 décembre 2014 abonné·es
Une stratégie de tension avec la gauche
© Photo: Michel Soudais

Occuper le terrain, saturer les médias. En cette fin d’année, Manuel Valls recycle les bonnes vieilles recettes de Nicolas Sarkozy. En moins d’une semaine, on a vu le Premier ministre occuper l’antenne du « 20 heures » de France 2 un dimanche soir, plus d’une demi-heure durant. Pour dire quoi ? Qu’il n’était « pas un déserteur » et exercerait « jusqu’au bout » les responsabilités de son poste « jusqu’à la fin du quinquennat ». Seconde étape de ce plan de com’ très offensif, mercredi, à l’issue du conseil des ministres, il volait la vedette à son ministre de l’Économie en présentant lui-même, lors d’une conférence de presse organisée dans l’enceinte de… l’Élysée, le projet de loi Macron. Un vaste fourre-tout de 106 articles qui touche aussi bien à la réglementation du travail dominical qu’à celui des professions du droit, libéralise le transport par autocars et accélère les procédures prud’homales, programme le désengagement de l’État de quelques aéroports… Le soir encore, il devisait devant la Fondation Jean-Jaurès sur les avantages qu’il y aurait à substituer à la redistribution la « pré-distribution » dans la lutte contre les inégalités ; un pas de deux conceptuel propre à susciter des retombées médias supplémentaires. Enfin, vendredi, Manuel Valls clôturait une semaine d’omniprésence médiatique avec la publication d’un « agenda » des 155 réformes programmées par le gouvernement.

Cette dernière présentation a été tout aussi soignée que celle de la loi Macron : allocution à Matignon, précédée d’une réunion de tout son gouvernement dans une sorte de Conseil des ministres – le second de la semaine –, publication de l’agenda sur un site Internet dédié, message du Premier ministre sur Facebook. Une telle mise en scène pour un calendrier qui présente somme toute peu de nouveautés n’est pas gratuite. Elle poursuit au moins trois objectifs. Le premier, évident, consiste à rassurer la Commission européenne sur la volonté de la France d’engager les fameuses réformes structurelles que Bruxelles et plusieurs de nos partenaires européens, dont l’Allemagne, réclament en contrepartie d’un effort budgétaire insuffisant. Manuel Valls ne s’en est pas caché : « Nous allons nous démontrer à nous-mêmes, mais aussi au reste du monde, que la France est capable de se réformer », a-t-il fait valoir.

Le second objectif, d’ordre politique interne, se déduit aisément de cette affirmation : le Premier ministre veut asseoir son image de réformateur. Pour le présent, et pour l’avenir. Avant les fêtes de fin d’année et les traditionnelles séances de vœux du mois de janvier, durant lesquelles les projecteurs sont davantage braqués sur le président de la République, Manuel Valls a, par cette offensive médiatique, voulu prendre date. Anticipant les temps difficiles qui s’annoncent, avec une nouvelle défaite électorale annoncée fin mars, le congrès du PS programmé dans la foulée et des élections régionales à la fin 2015 qui ne seront pas moins périlleuses que les départementales, son message était en gros le suivant : quels que soient les résultats des élections, le gouvernement conservera son cap. L’apaisement recherché sur la scène européenne s’accompagne ici d’une stratégie de la tension entre le gouvernement et la gauche. Stratégie dans laquelle le feu d’artifice de réformes annoncé par Manuel Valls prend tout son sens. Car le dernier objectif de cette agitation d’une multitude de projets, brandis comme autant de chiffons rouges au nez de ce qu’il appelle « la gauche passéiste », vise à rendre inaudible cette dernière en multipliant ses raisons de râler. Dans le calendrier jusqu’au-boutiste du Premier ministre on trouve en effet beaucoup d’attaques et de reculs sociaux : la modification des seuils sociaux, le renforcement des contrôles des chômeurs, la mise en place d’un système plus incitatif à la reprise d’emploi, le plafonnement des indemnités de licenciement… La même méthode est déjà à l’œuvre dans le projet de loi Macron qui empile pêle-mêle des mesures de « libéralisation » touchant à la réglementation sur les horaires d’ouverture des commerces, aux professions réglementées du droit, aux transports, mais aussi à l’inspection du travail, au droit pénal du travail, aux conditions de licenciement…

Le gouvernement a mis tant de dispositions contestables qu’il est impossible de toutes les dénoncer en même temps, sous peine de ne pas être entendu. C’est sans doute pour éviter ce piège que les militants politiques et syndicaux de la gauche ont concentré jusqu’ici leurs attaques sur une seule disposition du projet de loi Macron, celle qui prévoit l’extension du travail du dimanche. Symbole d’un choix de société, ce combat est bien parti pour concentrer toute cette stratégie de la tension engagée par Manuel Valls.

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