Allemagne : Débat tardif sur la Grèce

À deux semaines de l’échéance du 30 juin, Syriza se trouve des alliés au sein de la gauche allemande. Correspondance Rachel Knaebel.

Rachel Knaebel  • 17 juin 2015 abonné·es
Allemagne : Débat tardif sur la Grèce
© Photo : AFP PHOTO / ODD ANDERSEN

Le compte à rebours est enclenché. La Grèce doit trouver un accord avec ses créanciers d’ici le 30 juin, date à laquelle le pays doit rembourser 1,6 milliard d’euros au FMI. À la veille de l’échéance, la presse allemande s’est offert la semaine dernière une pause dans son dénigrement de Syriza. Depuis quelques jours, des déclarations de Yanis Varoufakis, le ministre grec des Finances, se sont substituées aux titres condamnant l’irresponsabilité de Tsipras. La raison de ce bref retournement ? Une visite à Berlin de Varoufakis le 8 juin. Le ministre n’était pas venu à l’invitation d’Angela Merkel ou du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, mais d’un institut de recherches économiques proche des syndicats. Yanis Varoufakis, professeur d’économie de profession, a enfin pu défendre longuement et calmement le travail de son gouvernement devant un public allemand. Et répondre aux questions et aux inquiétudes de ses interlocuteurs : le chef de la confédération syndicale allemande, des économistes, un député Vert et deux élus conservateurs.

« Depuis cinq ans, l’Europe et trois gouvernements grecs différents ont trompé les peuples de Grèce et d’Allemagne. L’Allemagne a payé beaucoup trop, c’est vrai. Mais elle a payé pour les mauvaises raisons : 91 % de ce que l’Europe et le FMI ont prêté à la Grèce sont allés vers les banques, les banques grecques, françaises, allemandes   », a rappelé le ministre grec de Finances. Il a appelé les décideurs allemands à travailler enfin avec son gouvernement : «   Au moins, nous, Syriza, nous ne sommes pas corrompus. Travaillez donc avec nous pour mettre fin à la corruption en Grèce.   »

En Allemagne, les voix dissidentes se font difficilement entendre sur les négociations avec la Grèce. Elles existent pourtant ici et là. L’institut de recherches économiques de la fondation Hans-Böckler, qui organisait le débat, en fait partie. La confédération syndicale allemande aussi. Son président, Reiner Hoffmann, l’a clairement exprimé la semaine dernière face à Yanis Varoufakis : «   Le grexit n’est pas une stratégie pour sortir de la crise. Nous avons plutôt besoin d’en finir avec la politique d’austérité. Il faut rappeler que les origines de la situation grecque se trouvent dans une crise financière, qui a ensuite été interprétée comme une crise de la dette publique. Nous avons certes besoin de réformes, mais cela ne veut pas dire encore plus de dérégulations et de privatisations. » Syriza n’est pas opposé aux réformes. Varoufakis l’a répété à Berlin et le gouvernement grec a fait des propositions à ses créanciers. «  Lors de la première réunion des ministres des Finances européens où je suis allé, j’ai bien dit qu’on était d’accord sur de nombreux points : sur l’évasion fiscale, la corruption, le fait que le système de retraite doit être réformé. Pourquoi ne pas se mettre d’accord sur des réformes sur ces sujets-là et continuer les négociations en même temps. Mais on m’a dit : “Oubliez ça”. En Grèce, depuis deux ans, nous n’avons plus de protection du travail, plus de négociations salariales. Le résultat, c’est que plus d’un tiers du travail rémunéré est payé au noir. Et 500 000 travailleurs n’ont pas été payés pendant ces six derniers mois. Nous voulons réformer. Mais si vous continuez à pousser notre population dans la misère, nous ne serons jamais réformables.   »

Ces arguments ont-ils été entendus ? En particulier par les alliés politiques potentiels de Syriza en Allemagne ? Le parti de gauche Die Linke a toujours soutenu le nouveau gouvernement grec. Les Verts (Die Grünen) beaucoup moins. «   En Allemagne comme en Grèce, on a tendance à parler plus de l’autre qu’avec l’autre. Ce type de dialogue direct est un pas important pour construire la confiance, juge Gerhard Schick, député Vert au Bundestag. Il ne faut pas voir la confrontation comme quelque chose de national. Dans les deux pays, il y a d’un côté des gagnants de la crise, des gens très riches, et de l’autre des personnes qui souffrent de la politique de crise catastrophique et qui ont besoin d’aide.   » Gerhard Schick était sur le podium aux côtés du ministre grec la semaine dernière. Il a interrogé Varoufakis sur les mesures promises de lutte contre la corruption et l’évasion fiscale, qui n’arrivent pas assez vite selon l’élu des Grünen. La réponse du Grec ne l’a pas totalement satisfait : «   Les signaux du gouvernement grec là-dessus sont trop vagues. Les créanciers et les Grecs jouent au poker de manière irresponsable en espérant que l’autre côté va céder le premier. Le spectre du grexit est à bannir une bonne fois pour toutes. Nous avons besoin d’une perspective de long terme plutôt que d’une gestion de crise toujours plus sous pression.   »

C’est Wolfgang Schäuble qui agite encore et toujours le chiffon rouge du grexit pour faire plier Syriza face aux exigences de casse sociale des créanciers. Mais, depuis plusieurs semaines, la presse allemande rapporte que l’intraitable ministre n’est plus en position de force au sein de son gouvernement. Fin mai, le quotidien conservateur Die Welt faisait ainsi état d’une divergence de fond entre Merkel et Schäuble sur le sujet. La semaine dernière, c’est un député social-démocrate (les sociaux-démocrates sont au gouvernement aux côtés des conservateurs) qui l’a répété dans divers médias : Wolfgang Schäuble n’a plus le mandat du gouvernement pour mener les négociations avec la Grèce.

Est-ce le signe d’une véritable volonté d’apaisement du côté allemand ou une simple stratégie de la chancelière pour calmer les esprits ? «   Merkel est sûrement plus conciliante dans ses formulations. Mais aujourd’hui comme hier, la position du gouvernement allemand reste la même : demander encore et toujours plus de coupes budgétaires drastiques à la Grèce. C’est aberrant. Parce que la Grèce a déjà été ruinée par les prétendues réformes mises en place depuis cinq ans », analyse l’économiste Heinz-Josef Bontrup, porte-parole du groupe d’économistes allemands hétérodoxes « Pour une politique économique alternative ». «   Les sociaux-démocrates allemands sont néolibéraux, les Verts aussi sur les questions économiques. Et le parti Die Linke est faible. Dans le fond, c’est un problème idéologique. On ne veut pas que le gouvernement de Tsipras réussisse parce qu’il est de gauche. Et que cela signifierait un changement de paradigme en Europe. » Et ça, la Commission européenne ne veut évidemment pas en entendre parler.

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