Bataille culturelle à Bourges

Les Berruyers s’élèvent contre le projet onéreux de construction d’une nouvelle Maison de la culture au détriment de la réhabilitation de celle, historique, inaugurée par Malraux en 1964.

Jean-Claude Renard  • 24 juin 2015 abonné·es
Bataille culturelle à Bourges
© Informations : www.lutteseraucourt.berry-libre.net Photo : Hervé Rovira

C’est un jardin extraordinaire… Un jardin dégringolant sur les pentes de Séraucourt, à Bourges, à côté de la Maison de la culture. Protégé par la Commission nationale des sites, il a été discrètement déclassé en 2013, sans consultation préalable des Berruyers. Élu aux municipales de 2014, le maire UDI Pascal Blanc (auparavant maire adjoint, donc partie prenante du projet, également président de la communauté d’agglomération Bourges Plus) entend aujourd’hui procéder au déboisement de ce parc urbain de 10 000 m2.

À ce projet de destruction (incluant la suppression du skatepark sur le site), s’ajoute celui de la construction d’une nouvelle Maison de la culture, dont les budgets prévisionnels ont explosé ces derniers mois, passant de 23 millions d’euros à 36 millions d’euros, dans un contexte économique pourtant difficile pour la ville. Budget en cours, qui pourrait encore enfler. Pour le coup, la chronologie est étonnante (la méthode ne l’est pas moins). En 2011, la mairie engage les travaux pour réhabiliter la Maison de la culture historique de Bourges, la première en France, inaugurée par Malraux en 1964. Puis, après avoir déjà dépensé 7,5 millions d’euros, elle décide d’arrêter ces travaux pour construire un nouveau bâtiment, à 300 mètres.

Quid de l’ancienne Maison ? Nul ne sait… C’est un gâchis, estiment les Berruyers, qui ont constitué, en novembre 2014, le collectif Luttes Séraucourt (des bénévoles, regroupant notamment le groupe MACU de Bourges, l’Association des amis de la Maison de la culture, Alternative MCB, ou encore le collectif « Ki-6-col »), avant d’initier une pétition : « Non à la destruction des jardins et des arbres de Séraucourt ; oui à la réhabilitation de la Maison de la culture historique ; oui au maintien de l’expression des cultures urbaines en centre-ville. » Le collectif a le soutien du PS local et celui de Jack Lang, et maintenant, contre toute attente, de l’ancien adjoint UMP à la culture, Philippe Gitton, dans un premier temps favorable à la construction d’un nouveau lieu. Un contre-projet a même été déposé, étudié par des architectes, prônant la poursuite de la réhabilitation de l’ancienne Maison de la culture, moins onéreuse et moins énergivore, contre cette nouvelle construction.

Pour Luttes Séraucourt, il convient d’alerter sur les dommages collatéraux du projet global, « sur les plans financier, écologique et urbanistique ». On s’interroge : « Un tel projet ne mériterait-il pas une consultation des habitants et des autres acteurs culturels de la ville ? Est-il envisageable de créer un nouvel équipement culturel qui fasse aussi peu l’unanimité auprès de ceux pour qui il est censé être construit ? » En guise de réponse, la mairie a lancé une « boîte à idées » sur l’avenir du site historique, sans remettre en cause le projet de construction nouvelle… Le 20 mai, réclamant un réel échange, enfin, le collectif adressait encore un courrier à la mairie, dénonçant « la désinvolture » dont elle fait preuve « à l’égard des habitants citoyens contribuables », s’élevant contre l’absence de concertation et d’information, contre ce déni de démocratie affiché. Pour l’heure, une seule réunion entre les parties a eu lieu, d’à peine trente minutes. Une autre est prévue, sur deux heures avant la fin du mois de juin. « À quoi servira-t-elle si la mairie reste campée sur ses positions », se demande-t-on au collectif ?

Luttes Séraucourt entend ne rien lâcher, et occuper le terrain. En novembre déjà, plusieurs dizaines de personnes avaient empêché les premiers abattages d’arbres, la veille des travaux. Depuis, des tentes ont été dressées. On se rend aussi au conseil municipal (le 29 mai, ils étaient une centaine devant la mairie, laissant retentir le bruit lourd d’une tronçonneuse), on entretient aussi le jardin abandonné par les services publics, on tracte sur les marchés. « On compte surtout user de tous les recours administratifs et juridiques, dit Alain Meilland, représentant Alternative MCB au sein du collectif (et cofondateur du Printemps de Bourges, ancien élève de Jean Dasté). On mise ainsi sur la possibilité de revoir le déclassement du site, opéré en catimini, et l’on espère repousser, sinon, faire annuler l’abattage des arbres, tant que le financement total de ce projet n’est pas définitivement bouclé. » Alain Meilland en convient, « de sit-in en sit-in, on gagne du temps, et le temps joue pour nous ». Au sein du collectif, on a le soutien des autres partenaires publics, on sait que tous les financements peuvent être réaffectés vers la réhabilitation.

Maître d’ouvrage, le maire de Bourges justifie son choix : « Le fonctionnement de l’ancien site n’était plus viable, et cette impossibilité technique a été relevée par les services de l’État », explique Pascal Blanc, soulignant que l’impossibilité de reconstruire une nouvelle Maison sur l’ancienne « répond au respect des vestiges gallo-romains sur le site et alentour, auxquels on ne peut toucher. Les normes et le cahier des charges nécessitaient donc un nouveau lieu. » Nuance, répond, le collectif : « On spécule sur quelque chose qu’on ne connaît pas. Les fouilles n’ont pas été faites. Et si tant est que des vestiges demeurent, ils seront conservés. C’est aussi dans le projet que nous avons présenté, mais que personne ne regarde ! » Sur le financement, d’un bâtiment à l’autre, poursuit le maire, « sachant les avenants systématiques que l’on rencontre lorsqu’on rénove de l’ancien, le budget serait presque équivalent ».

Sur le devenir de la Maison historique, « les idées fusent. Le processus va durer un certain temps, l’usage de la culture me paraît fondamental ». Quant à l’abattage des arbres, « sur une ville qui compte plusieurs milliers d’arbres, c’est un faux problème ». Dans ce dialogue à sens unique, « la porte reste ouverte, convient Pascal Blanc. On peut concerter. Mais concerter sur quoi, sinon sur l’emplacement du nouveau site ? » Il n’empêche. La pétition a maintenant réuni 10 600 signatures. Ce sont autant de réponses à une « boîte à idées ». En espérant, comme le souhaite le collectif depuis longtemps, « mettre en place des experts, une inspection générale, un arbitrage juridique indépendant ».

Politique culturelle
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