Scènes d’austérité au Portugal

Le spectacle vivant portugais est touché par d’importantes coupes budgétaires. Le festival d’Almada, qui s’est tenu en juillet, témoigne de ces conditions dégradées.

Anaïs Heluin  • 22 juillet 2015 abonné·es
Scènes d’austérité au Portugal
© Photo : Rui Carlos Mateus

Le 5 juillet 2015, en fin d’après-midi, le théâtre municipal Joaquim Benite est à la fête. Une fête discrète – Luis Miguel Cintra et ses comédiens répètent leur Hamlet, programmé le lendemain – mais spontanée, déclenchée par la victoire du « non » au référendum convoqué par le Premier ministre grec, Alexis Tsipras. L’enthousiasme de Rodrigo Francisco et des membres de sa compagnie du théâtre d’Almada n’est pas seulement idéologique : avec la politique d’austérité initiée en 2011 par le gouvernement de centre droit d’Anibal Cavaco Silva, les artistes portugais ont de quoi se sentir proches du peuple grec. Touché par des coupes budgétaires drastiques, le spectacle vivant endure une crise qui affecte les conditions de production autant que la qualité esthétique des projets. Créé en 1984 par le metteur en scène Joaquim Benite, une des figures de la Révolution des œillets, le festival d’Almada reflète ce malaise.

Si, comme tous les ans, la bonne humeur est au rendez-vous de la 32e édition de ce rendez-vous considéré comme l’événement théâtral majeur dans le pays, il suffit de s’attarder un peu dans la cour de l’école António Da Costa, où sont dressées une scène et la cantine du soir, pour capter l’inquiétude ambiante. «   Depuis quatre ans, l’État s’est désengagé de la culture. Pour notre programmation à l’année, par exemple, nous devons nous contenter d’un budget de 250 000 euros, alors qu’en 2010 nous en avions près du double », déplore Rodrigo Francisco, qui a pris la direction du théâtre en 2012, après la mort de Joaquim Benite. Les années 1960-1970 sont loin, quand une politique de décentralisation culturelle permettait l’émergence de structures et de compagnies hors des grandes agglomérations. Fondée à Lisbonne en 1970 et déplacée huit ans plus tard dans le village portuaire d’Almada, la compagnie de Joaquim Benite a connu son heure de gloire. L’élégant théâtre municipal –  «   le dernier équipement de cette importance au Portugal, construit il y a dix ans   », précise Rodrigo Francisco – rappelle cette époque aux spectateurs toujours nombreux à fréquenter le festival. «   Beaucoup d’habitants du village suivent le festival depuis ses débuts, grâce en partie à l’animation culturelle et au travail mené par Benite avec des troupes locales d’amateurs », explique son successeur. L’utopie d’un théâtre populaire et décentralisé se porte hélas aussi mal au Portugal qu’en France. Aujourd’hui âgés, les tenants de cette politique culturelle semblent revenus depuis longtemps de leurs espoirs. À 66 ans, Luis Miguel Cintra, dont la troupe Teatro da Cornucópia, installée au Teatro do Bairro Alto, à Lisbonne, est une des plus réputées du pays, a mis en scène Hamlet pour traiter du rapport entre les anciennes et les nouvelles générations, «   qui ne croient plus dans les valeurs de leurs aînés mais n’ont pas le bagage intellectuel nécessaire à l’invention d’une société nouvelle » .

S’il travaille avec des comédiens tout juste sortis du Conservatoire (Guilherme Gomes, son Hamlet, est étonnamment jeune pour le rôle), Luis Miguel Cintra n’a plus la foi. «   Je crois qu’ici le théâtre a perdu la fonction politique et symbolique qu’il avait jusque dans les années 1980 et qu’il n’a pas réussi à se construire une identité en phase avec la crise actuelle. » Son Hamlet en est la preuve. Dans un château de carton-pâte –  «   par manque de moyens, on puise dans nos décors anciens » –, la tragédie est surjouée et poussiéreuse. Dans un tout autre style, Escrever, falar, le texte de Jacinto Lucas Pires mis en scène par Jorge Silva du Teatro dos Aloés, fondé en 2000, n’est guère plus réussi. Sur un plateau nu, éclairé par des lumières changeantes, deux hommes se perdent dans leur flux de paroles censées décrire un amour tragique. L’ouverture du festival par King Size, de Marthaler, créé en 2013 à Avignon, et le focus « nouveau théâtre espagnol » n’ont pas relevé le niveau. Comment programmer correctement sans argent pour prospecter ? Et que créer ? Sans doute certaines compagnies trouvent-elles des réponses intéressantes, telle Joana Craveiro. La jeune artiste interroge la mémoire de la dictature, «   encore morcelée et mal assumée par la plupart des Portugais ».

Théâtre
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