La pensée aboutie d’André Gorz

Trois entretiens tardifs précisent les dernières positions du philosophe, pionnier de l’écologie politique.

Olivier Doubre  • 2 septembre 2015 abonné·es
La pensée aboutie d’André Gorz
Le Fil rouge de l’écologie, André Gorz, édition établie et présentée par Willy Gianinazzi, postface d’Erich Hörl, éd. de l’EHESS, coll. « Audiographie », 112 p., 9 euros.

Au lendemain de son suicide commun avec sa femme Dorine en septembre 2007, était paru Écologica, aux éditions Galilée, qui regroupait des passages de certains de ses ouvrages de la décennie 1970 et, surtout, des entretiens ou des textes des dernières années parus essentiellement dans des revues écologistes. Par son titre et son contenu, ce volume posthume – qu’André Gorz avait soigneusement conçu avant son geste ultime d’affirmation de sa liberté – eut valeur de manifeste. Le philosophe, « écologiste avant la lettre », y expliquait le cheminement de sa pensée : « En partant de la critique du capitalisme, on arrive immanquablement à l’écologie politique » … Aujourd’hui, ce petit livre composé de trois entretiens parus en 1990, 2003 et 2005, dans des revues ou des journaux à l’étranger, reprend en quelque sorte la démarche d’ Écologica. Donnant à suivre ce Fil rouge de l’écologie qui structura peu à peu la pensée la plus aboutie de l’auteur de l’Immatériel. Trois interventions qui vont permettre de distinguer l’évolution de ses prises de position au cours de ces années.

Le premier entretien, accordé à l’été 1990, est de loin le plus important du volume, de par sa longueur et les sujets abordés. Et preuve que le penseur le jugea pertinent pour l’avenir, il entamera lui-même, quelques années plus tard, sa traduction en français, augmentée de nombreuses précisions. Interrogé pour une revue alternative autrichienne par le (futur) philosophe Erich Hörl, alors jeune étudiant écologiste qui connaît déjà fort bien son œuvre, André Gorz y reprend les principaux objets de son cheminement : critique du travail dans la société capitaliste, rapport de l’homme à la nature, usage des technologies, rôle des intellectuels, cause des femmes, bien vivre quand « la “vraie vie” commence hors du travail » … Sans oublier ses principales influences théoriques, et ses relations étroites avec Jean-Paul Sartre.

Comme le souligne l’éditeur de ce volume, Willy Gianinazzi, « Erich Hörl avait pour ambition de faire émerger de cet entretien le “fil conducteur” de la pensée gorzienne ». Un véritable « fil rouge » déroulé au flot des mots, « dont le tressage est composé des postulats existentialiste, phénoménologique, marxiste et écologiste ». Où, in fine, l’écologie est « conçue comme un mode de vie et d’agir », respectant le milieu, pour bien vivre dans la sobriété, accompagnant une sortie du capitalisme marchand, « croissantiste » et aliénant, par l’utopie concrète d’une limitation de la durée du travail pour la conquête d’un temps « libéré ». D’une civilisation nouvelle, « maîtrisant le temps de vie et le travail », de cette « vraie vie » synonyme d’épanouissement et d’expérience personnels.

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