À la télé, sidération et sobriété

Comme si la leçon du mois de janvier avait été retenue, les chaînes sont restées mesurées dans le traitement médiatique des attentats, délaissant le direct pour le récit, l’analyse et les témoignages.

Jean-Claude Renard  • 18 novembre 2015 abonné·es
À la télé, sidération et sobriété
© Photo : PSENNY/Le Monde/AFP

Tout est allé très vite. D’un côté, ce vendredi, soirée de gala, TF1 décidait de poursuivre la retransmission du match de football France-Allemagne, malgré trois déflagrations aux abords du Stade de France, après vingt minutes de jeu, dès 21 h 20, et l’exfiltration rapide et discrète, juste avant la mi-temps, de François Hollande, présent dans les tribunes. Tout cela sans informer ses téléspectateurs, sans même un flash spécial à la mi-temps, laissant place aux traditionnelles pages de pub. De l’autre côté de la télécommande, et en même temps, dès 21 h 50, tout est allé très vite pour les chaînes d’info en continu. Des chaînes à l’évidence stupéfaites par la multiplication des attentats en différents lieux. Sur les antennes, c’est le choc. La prise d’otages au Bataclan s’est achevée en deux heures, après l’intervention du Raid, peu après minuit ; et déjà François Hollande a décrété l’état d’urgence, demandé des renforts militaires et annoncé la fermeture des frontières. Sur les écrans, place aux secours. Sidération et sobriété dominent. D’emblée, on est loin de la spectacularisation des attentats du mois de janvier, où la prise d’otages à l’Hyper Cacher avait donné lieu à des dérives voyeuristes et surtout, en plein direct, à des informations dangereuses, quasi irréalistes, livrant la cache de certains otages sur les lieux, avant de suivre la cavale des frères Kouachi. Une dérive « spectaculaire ». Des images qui valent pour le coup à BFMTV d’être attaquée en justice par les otages et leurs familles pour « mise en danger d’autrui ».

Ce vendredi 13 novembre, tout se passe comme si la leçon avait été retenue. La police a très largement étendu le périmètre de sécurité autour du Bataclan, les journalistes sont éloignés, les caméras sont restées dans l’après-coup. Sur i-Télé, Bruce Toussaint prévient son téléspectateur : « Les images diffusées ne sont pas en direct. » C’est une télé qui ne montre pas, mais raconte. Samedi matin, pour échapper aux seules images fixes qui remplissent encore l’écran, on établit la carte des attentats, on déplace une envoyée spéciale devant l’Institut médico-légal, on s’efforce de recueillir des témoignages. Témoins de la fusillade au Petit Cambodge, témoins de la fusillade rue de Charonne, témoins de la fusillade rue de la Fontaine-au-Roi, témoins de la fusillade au Bataclan. Simples passants, clients, consommateurs, riverains. Tous tétanisés, sidérés, emportés par l’effroi. Le témoignage, c’est l’émotion. À l’évidence, les chaînes misent là-dessus. Force est de constater que l’émotion a été le plus souvent livrée sans pathos, sans mièvrerie malgré la situation, malgré « les corps jonchant le sol » au Bataclan, avec des spectateurs « réfugiés dans les combles, blottis contre la laine de verre », faisant le mort par instinct de survie. Sur les plateaux, les avis des spécialistes s’additionnent. Avec une dominante policière et militaire qui prépare un prévisible tournant sécuritaire. Avant que les chaînes ne finissent, naturellement, par tourner en boucle sur le bilan de la tragédie, avec les mêmes témoignages. Parmi eux, celui de Daniel Psenny est particulier. Le journaliste médias du Monde, résidant derrière le Bataclan, face aux issues de secours de la salle, a filmé depuis les fenêtres de son appartement la sortie des victimes du carnage, avant de porter lui-même secours aux victimes et d’être atteint d’une balle dans le bras. Postée d’abord sur le site du Monde, sa vidéo de quelque trois minutes fait le tour des chaînes et des journaux télé. Une fois de plus, on est dans l’après-coup.

Dans la soirée, Canal + et France 2 changent de contenus, bouleversent leurs programmes, font place au direct. La chaîne cryptée se paye un « Grand Journal » en direct. Sobriété d’abord (c’est assez rare pour être souligné). Et la présence d’un pompier sur le plateau en témoigne. De son côté, France 2 a supprimé le divertissement de Patrick Sébastien et change son « On n’est pas couché », enregistré habituellement le jeudi, par un direct rebaptisé « On est solidaire ». Jean-Luc Mélenchon, Razzy Hammadi, Édouard Philippe et Jean-Christophe Lagarde sont sur le plateau de Laurent Ruquier, avant de céder leur place à une brochette de personnalités venues exprimer leur émotion. Se bousculent Gérard Jugnot, Catherine Frot, Sylvie Testud, Frédéric Beigbeder, Arnaud Klarsfeld, Michel Drucker… Clairement, la chaîne a choisi la pipolisation. Sur les autres plateaux, la sémantique de la guerre s’est déjà mise en place, se mêlant au rassemblement et au recueillement général. Seule exception au tableau, le mag « 66 minutes », sur M6, le dimanche à 18 heures, livrant crûment un reportage (hasard d’un tournage) sur une équipe de pompiers secourant les victimes de La Belle Équipe. Images violentes, terribles, d’un bain de sang, et honteusement diffusées ( a fortiori quand le deuil national est décrété), tranchant avec la sidération et la sobriété de l’écran.

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