Les yeux rivés sur la « timeline »

Caisse de résonance des attentats, Facebook et Twitter n’ont jamais été si centraux dans la couverture d’un événement en France.

Pauline Graulle  • 18 novembre 2015 abonné·es

Les oreilles vissées au transistor en 1940, les yeux rivés sur sa « timeline » en 2015. Sous les mots-clés « Bataclan », « ParisAttacks » ou « PrayforParis », les attentats de Paris ont donné lieu à un déluge de témoignages, de commentaires, de vidéos et de photos sur les réseaux sociaux. Cloîtrés chez eux, à des milliers de kilomètres ou à deux pas de la rue de Charonne, les internautes du monde entier ont, l’espace d’un week-end, fait de Facebook et de Twitter leurs fenêtres sur le monde. Plus instantanés que les chaînes d’info en continu, plus interactifs que la radio, ces mastodontes de la viralité se sont taillé la part du lion dans le concert de l’information. C’est qu’au moment où les tirs de Kalachnikov retentissaient, le besoin était immense d’échanger des informations factuelles (quels quartiers fallait-il éviter ? Qui était au Bataclan ce soir-là ?). Son émotion, aussi.

Sur Facebook et Twitter, on a vu défiler le meilleur comme le pire. Et, surtout, une réalité multiple, polyphonique. Car, sur cet étrange espace-temps, le réel est relatif, tronqué, éminemment singulier : on n’y voit que ce que postent ses « amis » ou ses « followers », son cercle « d’informateurs » amateurs (citoyens lambda) et professionnels (journaux, formations politiques…), choisis au préalable en fonction de ses affinités, de ses convictions ou de ses intérêts. Alors, selon son entourage (virtuel), la lecture de l’événement a pu varier du tout au tout. Nicolas est sorti écœuré de l’impudeur de certains « posts », choqué par ceux qui ont relayé le discours de Marine Le Pen (5 millions de vues : un record) ou par les thèses complotistes partagées par ses « followers ».

Anna, qui, comme 5,4 millions de personnes, a utilisé le « safety check » de Facebook [^2], a surtout retenu l’élan de solidarité. La compassion de ces connaissances américaines ou picardes qui lui ont envoyé des messages de solidarité, mais aussi de ces millions d’utilisateurs qui ont mis pour photo de profil un aplat noir en signe de deuil. De celui-ci qui a témoigné de son amour pour une ex-petite amie assassinée à la terrasse du Carillon, de celle-là qui a partagé la vidéo d’un humoriste britannique tournant en dérision les terroristes – il faut bien mettre un peu de baume aux cœurs. Le hic et nunc de Twitter et Facebook a favorisé la diffusion de l’info non vérifiée, source de toutes les rumeurs, installant parfois une angoissante confusion : difficile de s’y retrouver dans le déroulé des événements tant ils s’entrechoquaient vendredi soir sur le fil du réseau. Permettant aussi de diffuser des photos de proches dont on n’avait pas de nouvelles, de propager à grande échelle, et en un rien de temps, l’appel à témoins du terroriste en fuite, ou encore le hashtag #PorteOuverte utilisé par les Parisiens pour indiquer qu’ils se portaient volontaires pour accueillir les pauvres hères, de sortie ce soir-là dans les Xe et XIe arrondissements. Solidarité virtuelle pour une main tendue bien réelle.

[^2]: Une application inédite invitant les internautes géolocalisés dans le périmètre des fusillades à se signaler « safe » (« sain et sauf »).

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