Loi Travail : le coup de force du gouvernement

Michel Soudais  • 10 mai 2016
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Loi Travail : le coup de force du gouvernement
© Photo: ERIC FEFERBERG / AFP

Le Premier ministre Manuel Valls a engagé mardi à 16h30, à la tribune de l’Assemblée nationale, la responsabilité de son gouvernement via l’alinéa 3 de l’article 49 de la Constitution afin de faire adopter sans vote le projet de loi travail. « Aujourd’hui, j’exprime et nous exprimons clairement une fronde contre la division », a-t-il lancé, en visant les députés socialistes frondeurs opposés au texte :

Poursuivre le débat parlementaire fait courir le risque de revenir sur l’ambition du projet de loi, de renoncer à sa cohérence, d’abandonner le compromis que nous avons construit et d’offrir le spectacle désolant de la division et des postures politiciennes due à une minorité de blocage.

Contesté dans la rue par des centaines de milliers de manifestants et la majorité des organisations syndicales, désapprouvé dans les sondages par plus de 70 % des personnes interrogées, le projet de loi Travail n’avait pas de majorité pour être adopté à l’Assemblée nationale. D’où le recours au « 49.3 », un article de la Constitution qui considère adopté un texte sauf si une motion de censure, déposée 24 heures après l’engagement de responsabilité du gouvernement, est voté par une majorité de députés. Dans ce cas, qui ne s’est jamais produit, le gouvernement tomberait, obligeant le président de la République à trouver une nouvelle majorité ou à dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer des élections législatives anticipées.

Cet article de la Constitution, déjà utilisé à trois reprises par Manuel Valls pour faire passer la loi Macron l’an dernier, est décrié de longue date par la gauche. En 2006, François Hollande, alors Premier secrétaire du PS, le dénonçait comme « une violation des droits du Parlement, une brutalité, un déni de démocratie, une manière de freiner ou d’empêcher la mobilisation », au point d’envisager en juillet 2007, dans L’Hebdo des socialistes, sa « suppression » et celle du « vote bloqué ».

De son élaboration à son examen parlementaire le projet de loi El Khomri visant prétendument à « instituer de nouvelles libertés et protections pour les entreprises et les actifs », n’aura été qu’un coup de force. Conçu sans concertation avec les syndicats de salariés, mais en consultant le Medef, il n’a été modifié sous la pression qu’à la marge. Sitôt son contenu révélé par une fuite dans la presse, Matignon corrigeait un entretien de la ministre du Travail au quotidien Les Echos pour lui faire dire que le gouvernement n’excluait pas de recourir à l’article 49.3 :

Nous voulons convaincre les parlementaires de l’ambition de ce projet de loi. Mais nous prendrons nos responsabilités.

Alors que le texte comprenait 52 articles sur plus de 130 pages, le gouvernement n’avait toutefois pas prévu d’y consacrer plus de sept jours de débats au Palais Bourbon. Et au troisième jour, lundi 9 mai, alors que les députés examinaient tout juste l’article 1, la ministre usait d’une procédure parlementaire, la réserve des votes, pour empêcher tout vote sur les amendements défendus en séance, faute de disposer d’une majorité pour défendre le texte du gouvernement. Démonstration était faite que le gouvernement ne conçoit la démocratie parlementaire que comme un soutien à ses textes.

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